Téaldi, une carrière comme un combat
Le journaliste et syndicaliste, animateur d’émissions politiques pendant vingt-cinq ans sur France 3 Côte d’Azur, livre ses mémoires dans un livre. Témoin, acteur, privilégié d’une époque
Droit dans ses bottes. Car, oui, on peut avoir des convictions politiques, ne pas en faire secret, et être journaliste. Être, même, l’un de ceux qui aura le plus compté dans la région pendant plus de vingt-cinq ans. JeanFrançois Téaldi livre ses mémoires dans un ouvrage : Journaliste, syndicaliste, communiste (1). À lire avec nostalgie, mais pas que… C’est une plongée dans l’audiovisuel français, une brasse – pas coulée – dans le microcosme politique de la région. C’est aussi une belle galerie de portraits. Interview d’un homme qui a fait de sa carrière un combat avant une nouvelle dédicace, jeudi à Nice (2).
Dans la région, difficile de trouver votre livre, pourquoi ?
Les librairies sont frileuses car il y a le terme communiste dans le titre. On dit à l’éditeur : « On connaît M. Téaldi, mais dans ma ville, c’est à droite, et je ne peux pas prendre le bouquin. »
Et ça vous met hors de vous…
C’est oublier tout le combat des communistes pendant la Résistance, ça fait mal pour les camarades qui sont tombés. J’ai été éduqué par tous ces gens-là. C’est nier leur existence. C’est presque une sorte de négationnisme.
Vous avez commencé votre carrière comme pigiste à Nice-Matin, et votre couleur politique dérangeait…
J’ai travaillé pour les sports, j’ai fait des papiers économiques, puis pour la Quinzaine des réalisateurs. En même temps, je menais des meetings à la fac de lettres, je ne le cachais pas, il y avait mon nom sur les affiches. Un jour, un chef de service me convoque et me dit : « Jeff, c’est vrai que tu es communiste?» Je n’allais pas dire non. « Michel Bavastro [le PDG de l’époque, Ndlr] me demande de te virer. Tu sais, la semaine dernière, on a découvert qu’un journaliste était au Gud, on ne veut pas d’extrémistes dans le journal. » Déjà, tu en prends plein la gueule quand tu es comparé à des néonazis. Mais ce chef de service a essayé de me sauver parce qu’il trouvait que je bossais bien. J’ai dû prendre un pseudo : Jean Simon. J’ai fini par être viré. Puis, ce fut les débuts à la télévision publique, toujours avec mon pseudo.
Un pseudo que vous quitterez définitivement le mai …
Je pouvais sortir de la clandestinité!
Être communiste et journaliste dans le service public, ça implique quoi ?
Il faut que tu prouves constamment qu’avant d'être communiste, tu es un journaliste honnête. Je suis le seul journaliste communiste à avoir accédé à des postes de rédacteur en chef. J’ai été le seul journaliste communiste à avoir animé des émissions politiques pendant vingt-cinq ans dans une région de droite. C’est que je devais faire honnêtement mon boulot !
Une carrière exemplaire, puis …
Je suis dézingué de mon poste de rédacteur en chef de la locale.
Vous avez côtoyé tous les hommes politiques… Quels souvenirs gardez-vous de Jacques Médecin ?
Jacquou… On parlait tous les deux niçois. Avant le mai [], il disait ce qu’il voulait sur France , sans être jamais contredit. Comme lorsqu’il a jumelé Nice avec Le Cap en plein Apartheid sans aucune contradiction !
Après le mai ?
Lors d’une interview, il a parlé en plateau « des infâmes trotskistes de la Brague comme Téaldi ». Puis, je savais qu’il allait faire son couplet pour dire qu’on ne lui donnait jamais la parole sur France . Du coup, j’avais demandé toute la doc à la prod’, avec ses passages, je lui ai tout sorti. Il a fait la gueule [rire] .Ilm’a dit : « C’est pas grâce à vous que ma campagne progresse. » En fait, ça a été un de ses rares passages, car ensuite il nous a boycottés. Pourtant, en dehors des émissions, il n’était plus agressif, et on parlait niçois ensemble. Un jour, un « bébé Médecin » m’a même dit : « Viens avec nous, tu seras député »…
Quels rapports avec Christian Estrosi ?
Ça fait hurler mes camarades, mais je le dis : il a toujours été d’une grande correction, et pourtant, je ne le ménageais pas. Il n’a jamais joué sur le « journaliste communiste ». Et puis, je n’ai jamais accepté qu’on l’appelle le motodidacte : moi aussi, je suis fils de prolo… S’il en est arrivé là, c’est qu’il a des qualités. Quand j’ai été viré, il m’a même proposé de venir faire une manif devant les bureaux. Patrick Allemand aussi. J’ai refusé.
Et Jacques Peyrat ?
Là, c’est tout autre chose. En dehors des émissions, on se saluait à peine. Lors d’une soirée électorale, je mets une veste rouge, je le malmène et il me dit : « Je sais vous aimeriez que mes idées aient la même couleur que votre veste. »
Avez-vous été menacé pendant votre carrière ?
Oui, j'ai eu des menaces de mort de la fachosphère. Ils voulaient me casser la tête et les jambes. Des menaces prises au sérieux par la police.
Et professionnellement?
Le Pen et Mégret avaient lancé une pétition pour demander ma tête. Mais parfois, c’était encore plus dur avec des élus de gauche.
Avec qui par exemple ?
J’ai eu deux algarades avec Max Gallo [député PS de la circonscription des Alpes-Maritimes de à , Ndlr]. Je lui faisais remarquer que son programme était vide sur les HLM. Il m’a répondu : « Un journaliste de gauche ne devrait pas poser ce genre de questions. » Ma réponse : je ne suis pas journaliste de gauche, je suis journaliste. Il y a eu aussi des soirées animées avec Bernard Tapie. Un jour, je lui rappelle ses licenciements massifs, à la fin de l’émission, il me fonce dessus : « Vos questions ne me plaisent pas, vous ne resterez pas longtemps en poste. » Le ton est monté en régie, j’ai répondu : « Je resterai plus longtemps que vous. »
L’objectivité journalistique, ça existe ?
Non, mais l’honnêteté intellectuelle, oui. Je savais que chacun des mots que j’allais employer serait analysé, alors je les pesais pour ne pas être mis en défaut, alors qu’on ne le demande pas à d’autres journalistes.
Qu’est-ce qui vous a apporté le plus de satisfaction ?
Mon combat contre le FN avec [Jean-Marie] Le Chevallier [maire de Toulon de à , Ndlr], Mégret, Bompard, Le Pen. J’ai toujours été persuadé que ce n’était pas en disant qu’ils étaient fascistes qu’on convaincrait les électeurs. Je pensais qu’il fallait montrer que leur vote n’allait jamais dans le sens de la défense du peuple. Ce combat contre le FN, je le poursuis en tant qu’élu [conseiller municipal d’opposition, Ndlr] à Cagnes-sur-Mer. Mes angles de bataille, c’est de faire savoir que les élus FN votent toujours contre ou s’abstiennent, par exemple, contre les garanties d’emprunts pour les HLM.
Quel regard portez-vous sur vos confrères ?
Je trouve qu’ils ne fightent [se battent, Ndlr] pas assez avec le FN, sauf La Marseillaise ou La Voix du Nord, le seul quotidien à avoir décrypté le programme du FN pour démontrer que ça ne correspond pas du tout à l’électorat populaire, qui croit pourtant se reconnaître dans le FN. Les journalistes doivent montrer son vrai visage.
Vous diriez quoi sur Marine Le Pen aujourd’hui ?
Je démontrerai qu’elle ne pourrait pas gouverner, sauf par ordonnances. Grâce à l’article de la Constitution, elle pourrait faire comme de Gaulle pendant l’Algérie et se donner les pleins pouvoirs en termes de libertés publiques, par exemple.
Quel homme politique appréciez-vous ?
Aucun ! Ils m’ont toujours considéré comme un emmerdeur. Ah, si, peut-être Vauzelle. Un homme intègre, un serviteur de l’État, respectueux de ses engagements. À la fois un grand ministre de la Justice et un grand président de Région…
Et Sarkozy ?
J’ai eu deux rencontres avec lui à l’Élysée. Il essayait de me convaincre que la suppression de la pub dans l’audiovisuel public était une bonne chose, me tutoyant d’entrée. Il se comportait comme s’il était patron de France Télévisions en me faisant un catalogue à la Prévert des émissions qu’il aimait, celles qu’il n’aimait pas… C’était surréaliste. Sarko qui vous dit: « Je regarde Thierry la Fronde et Patrick Sébastien. » Ce n’est pas ma tasse de thé, mais les yeux dans les yeux, il y croyait, il essayait de me convaincre et je me disais : « Je comprends que Carla soit tombé amoureuse de ce mec, il a une force de conviction et un charme qui doit faire tomber toutes les nanas. » Bon, moi, il ne m’a pas convaincu !