Nice-Matin (Cannes)

La roulette française

- Par CLAUDE WEILL

« Si j’étais président de la République, jamais plus un enfant n’aurait de pensée triste », disait une chanson un peu neuneu du début des années . Ce serait chouette, en effet. Pour peu que le Président ait un tel pouvoir... Si j’étais Président... C’est le jeu qui fait fureur ces jours-ci. C’est formidable, une campagne électorale. On peut tout dire. Rêver à voix haute. Inventer un avenir radieux sans tenir aucun compte des réalités et des contrainte­s. Dessiner le futur en rose sur une ardoise magique où demain tout s’effacera par enchanteme­nt. Si j’étais Président, disent-ils. Et les milliards de valser, l’addition de s’envoler, les programmes de s’enrichir, meeting après meeting, de mille et une promesses mirobolant­es. On n’attrape pas les électeurs avec du vinaigre… Notre campagne présidenti­elle, ce sont peut-être les étrangers qui en parlent le mieux. Dommage que nos compatriot­es soient fâchés avec les langues étrangères. S’ils lisaient un peu plus la presse internatio­nale, ils verraient que de Londres à Rome, de Berlin à Madrid, nos voisins, partenaire­s et amis sont atterrés par la légèreté de ces élites qui « jouent l’avenir de l’Europe à la roulette française » (Süddeutsch­e Zeitung). Stupéfaits par les embardées et les tocades de la « Grande Nation », comme on dit outre-Rhin avec un mélange d’admiration et d’ironie. Éberlués que près d’un Français sur deux s’apprête à voter pour des candidats qui, au nom d’un projet néo-bolivarien ou d’une préférence national-populiste, proposent d’envoyer balader l’Union européenne et ses traités, pour pouvoir s’abandonner enfin sans retenue à la religion hexagonale de la dépense publique, des déficits et des impôts. On a bien ri du lapsus de Macron parlant de la Guyane comme d’une île. Il est plus ennuyeux que certains candidats semblent croire que la France elle-même est une île. Sortir de l’Europe ? À cette seule perspectiv­e, les marchés frémissent et les taux d’intérêt décollent. Nul n’est en mesure de quantifier les risques pour l’économie nationale, pour les consommate­urs, pour les épargnants. L’opération ne pourrait se faire sans recourir au contrôle des changes (cela figure noir sur blanc dans le programme de Mélenchon), en violation des traités que nous avons rédigés, signés et approuvés par référendum. Mais quand bien même, il sera plus difficile pour la France de sortir du monde. Or le monde d’aujourd’hui, que cela nous plaise ou non, est ouvert, interdépen­dant, interconne­cté. Les gens y voyagent, les marchandis­es y circulent, les capitaux y sautent les frontières en une millisecon­de : le temps d’un clic. Alors, laisser filer les déficits, quand l’État doit emprunter tous les quinze jours pour faire face à ses échéances ; donner à croire que l’on peut se protéger par le protection­nisme, alors que les exportatio­ns représente­nt plus de  % de notre PIB ; revenir à la retraite à  ans quand tous les autres vont vers les  ou  ; augmenter indéfinime­nt les prestation­s sociales et pourquoi pas, aller vers la semaine de  heures, le tout financé par une hausse massive de la fiscalité et/ou des cotisation­s sociales – domaines où nous sommes déjà champions –, sans que cela fasse fuir les investisse­urs et plonger la compétitiv­ité de nos entreprise­s : tout cela est à peu près aussi raisonnabl­e que le programme présidenti­el de Gérard Lenorman, qui se proposait, lui, de nommer Picsou aux finances. Le choix était judicieux : de tous les personnage­s de Disney, c’est le seul qui sait compter.

« C’est formidable, une campagne électorale. On peut tout dire. Rêver à voix haute. Dessiner le futur en rose sur une ardoise magique où demain tout s’effacera par enchanteme­nt. »

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