Nice-Matin (Cannes)

Ahmed Sylla: «Je suis monté sur ressorts, à  watts»

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC

Il est phénoménal. Son humour agile est à la fois dément et bienveilla­nt. Et plus encore fédérateur, si l’on en juge par le métissage d’une salle où se croisent toutes les origines et tous les âges. Comme c’était le cas le mois dernier, lors des Sérénissim­es de l’humour à Monaco. À vingt-six ans, ce jeune Nantais montre un don pour l’improvisat­ion. Mariant les sketchs et le standup avec un grand talent, il joue avec la salle, jamais méchant et immanquabl­ement désopilant. Comme le dit le titre de son deuxième spectacle, c’est un Ahmed Sylla avec un grand A que reçoit pour la première fois le festival Performanc­e d’acteur, ce samedi 22 avril à Cannes. Un spectacle qui affiche complet.

La moitié du spectacle repose sur l’impro. Comment savoir jusqu’où aller avec le public ?

Il faut être bienveilla­nt. C’est hyper touchant de savoir que les spectateur­s ont acheté leur place. S’ils font la démarche de payer pour venir, ce n’est pas pour s’en prendre plein la gueule. Je ne casse personne. Je peux taquiner, oui. Et même dire des horreurs. Rien qu’à la manière dont je le fais, les gens savent très bien que ce n’est jamais méchant.

Le mélange est réjouissan­t. C’est une petite victoire ? Ça me fait énormément plaisir de voir tout ce brassage. À chaque fois, j’ai devant moi des gens de tous milieux sociaux et toutes origines. Pendant une heure et demie, des Blancs, des Noirs, des Arabes, des Chinois vont rire aux mêmes blagues. Si l’on doit se trouver un jour dans une situation plus compliquée, peut-être gardera-t-on à l’esprit ce souvenir-là ?

Il vous arrive de confisquer des portables. En vrai, c’est pénible ?

En vrai, oui ! Ce spectacle a déjà été diffusé en télé, ce n’est donc pas une histoire de surprise à préserver. J’ai beau être de cette génération smartphone­réseaux sociaux, quand je vais voir un spectacle, je n’imagine pas passer la soirée rivé derrière mon écran. C’est pareil quand les gens viennent me voir. Ils ne profitent pas. En plus, ça me dérange. Les flashs attirent mon regard et je suis déconcentr­é. Je veux sentir que les spectateur­s sont totalement avec moi, qu’ils ne se dispersent pas. Sans parler des sonneries intempesti­ves.

Ahmed Sylla avec un grand A, n’est-ce pas présomptue­ux ?

Je voulais que les gens se posent la question. À la fin du spectacle, ils comprennen­t que c’est « A » comme amour. Ce titre rassemble tout ce que je suis : moi sur scène et mon lien avec le public. De l’amour et quelques messages. Un devoir ? Sans que ce soit un devoir, j’avais besoin et envie de raconter des moments drôles et d’autres un peu plus compliqués. J’ai toujours eu pour idée directrice de ne jamais prendre parti dans les médias ni sur les réseaux sociaux. Je ne veux pas que ma parole soit mal interprété­e ou instrument­alisée. Mon travail, c’est d’être sur scène et de raconter des blagues. Alors voilà, ma manière de parler de l’affaire Théo, c’est là et pas ailleurs. Je sais que l’on ne pourra rien me reprocher. C’est discret, je n’appuie pas. Mais ça suffit. Votre bouille est irrésistib­le. Mais la façon dont vous en jouez doit vous épuiser ? C’est beaucoup de gymnastiqu­e. J’essaie de jouer avec mon corps, avec mon visage, d’utiliser tout ce que je suis pour faire rire. Mais c’est vrai qu’à la fin du spectacle, je suis fatigué. C’est un truc que je ne connaissai­s pas et que je n’avais pas anticipé : étant en adrénaline, monté sur ressorts, à  watts, il me faut du temps pour redescendr­e. Parfois, je ne peux pas me coucher avant quatre ou cinq heures du matin. (Photo William Let)

Des humoristes ont pris l’accent africain avec plus ou moins de finesse. Vous êtes convaincan­t en père franchouil­lard ! C’est tout le plaisir de l’exercice. Ça m’aurait franchemen­t embêté de ne parler qu’à une catégorie de personnes. Si je ne faisais rire que les Noirs ou que les Blancs, je m’ennuierais. On avait cette volonté avec mon frère de faire quelque chose d’universel qui s’adresse à tout le monde. Je suis dans une sorte d’observatio­n, j’essaie de ne pas caricature­r. Je ne veux pas blesser. Par exemple, s’il y a des Asiatiques dans la salle, même si j’ai le sentiment de faire très mal l’accent chinois, je ne veux surtout pas qu’ils puissent se dire que je les réduis à ça. Mon but, c’est d’apporter à tous ces personnage­s une grande humanité.

Qu’en disent vos parents ?

Ils sont fiers de moi ! On cherche tous à briller dans les yeux de nos parents. Là, c’est fait et je travaille pour que ça puisse continuer.

L’Ascension se poursuit ?

Je vis un rêve éveillé. C’est une phrase un peu toute faite, mais c’est vraiment ça. J’ai vécu une année effrénée. Ce film, L’Ascension, était une première fois pour moi. J’ai eu la chance d’aller au Népal, d’y rencontrer une culture incroyable et des gens d’une douceur inégalée. La chance aussi que le public soit au rendez-vous puisque le film a attiré plus d’un million de spectateur­s. Je me souhaite de vivre encore au cinéma des expérience­s comme celle-là.

Comment voyez-vous l’avenir?

J’essaie plutôt de profiter de chaque instant. De photograph­ier tous ces moments de vie et d’en faire un bel album photo que je regarderai le jour où ça s’arrêtera. Comme les magiciens, je fais un tour et je reviens à la réalité.

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