Nice-Matin (Cannes)

De Vogüé, l’Académicie­n aimait Nice et Port-Cros

- ANDRÉ PEYREGNE

«Jean vint me chercher à Hyères et me conduisit dans son royaume. Entre l’île du Levant, large table de pierre rase abandonnée aux tirs de la flotte, et l’île de Porqueroll­es, plus étendue, plus rapprochée de la terre ferme, Port-Cros se dresse dans sa grâce altière. Elle commence à se civiliser depuis qu’un homme de goût s’en est rendu acquéreur et défriche à nouveau les champs cultivés jadis par les moines de Saint-Honorat… Je l’explore, je la découvre, cette Corse en miniature, montagneus­e et boisée. Une robe de pins tordus par le vent du large tremble perpétuell­ement sur les flancs de la roche, descend par endroits jusqu’à ses pieds. » A qui doit-on cette poétique descriptio­n de l’île de Port-Cros ? À un écrivain de notre région, né à Nice, membre de l’Académie française, portant le nom noble et étrange de Melchior de Vogüé. C’est dans son roman d’amour Jean d’Agrève qu’il écrit ces jolies choses. Il a été invité à Port-Cros en 1890 par le propriétai­re de l’île, le marquis Charles-Albert Costa de Beauregard, qu’il côtoyait à l’Académie française, et en tombe amoureux, à en juger par la sensibilit­é et la beauté des descriptio­ns qu’il en fait : « Un vrai paradis sur terre !… Nulle falaise normande ou bretonne ne peut rivaliser avec ce pan de montagne coupé à pic sur l’abîme… Au moment où j’abordais Port-Cros, les hautes bruyères blanches fleurissai­ent, l’île entière était couverte de ces grands bouquets verts et blancs, mariés aux étoiles bleu pâle du romarin, aux touffes argentées du cinéraire maritime... »

Subtil poème d’amour écrit à nos côtes d’Azur

Melchior de Vogüé est né à Nice en 1848. La ville n’était pas française, à l’époque. Son acte de naissance, que voici, a été rédigé au consulat de France : « Du 25 février 1848, acte de naissance de Marie-EugèneMelc­hior de Vogüé, né à Nice aujourd’hui à 3 heures du matin, de Monsieur Joseph-Victorien-Raphaël, comte de Vogüé, domicilié au château de Gourdan dans l’Ardèche, et de Madame Christine-Henriette Hastings Anderson, née à Édimbourg (Écosse). Premier témoin : AmourSylve­stre de Prats, de Carros. Second témoin : Benoît Michelis, propriétai­re, natif de Bouyon (Var). Les deux témoins habitent Nice ». Bouyon deviendra une commune des Alpes-Maritimes lors de la création de ce départemen­t après l’annexion du comté de Nice par la France, le 24 mars 1860. Melchior de Vogüé a passé son enfance à Nice, ainsi qu’il l’écrit à l’historien niçois Joseph Suppo, dans une lettre publiée dans la revue Nice-Historique :« Je suis né à Nice, je ne puis m’en dédire, puisque don Giuseppe Miceu, curé de la paroisse Saint-Étienne, a cru pouvoir constater cet accident sur ses registres. Je souhaite à tous mes biographes, s’il s’en trouve, de ne pas avoir autant de peine qu’il m’en coûta, non pas pour naître mais pour me procurer un extrait de mon acte de naissance !… Mes parents hivernaien­t à Nice, au boulevard Carabacel… J’ai passé à Nice les premières années de ma vie. Depuis ces temps lointains, je suis souvent revenu à Nice. J’y ai toujours eu pour ma ville un coeur filial... » Nice est la mère-patrie à laquelle il demeurera attaché.

Blessé lors d’un duel

Blessé à la bataille de Sedan (Ardennes) en 1870, Melchior de Vogüé fut attaché d’ambassade à Constantin­ople, au Caire et à SaintPéter­sbourg, où il épousa la fille d’un général aide de camp du tsar. Il eut trois fils. Il révéla au public français la littératur­e russe, avant d’écrire ses propres romans : Les Morts qui parlent, Le Maître de la mer, Sous l’horizon, etc. Oeuvres dans lesquelles il met en exergue le besoin d’amour, de moralité, de spirituali­té. L’écrivain niçois avait à peine 40 ans lorsqu’il fut élu à l’Académie française. Homme d’honneur, il eut, en 1895, un différend à Paris avec un député de la Drôme, du nom de Boissy-d’Anglas. Ils se battirent en duel et il fut grièvement blessé au visage. C’est à Hyères qu’il acheva son roman Jean d’Agrève, dans la villa du « Plantier de Costebelle », où habitait son ami l’écrivain Paul Bourget, lui aussi membre de l’Académie française. De là, il pouvait observer, comme il l’écrit, « la côte du littoral qui développe ses plans de forêts bleuies et les maisons d’Hyères qui pendent en grappes blanches sur la colline qui les porte... » Cet écrivain, qui a sa rue à Nice, a vibré, plus que tout autre, au spectacle rayonnant de notre Côte d’Azur.

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« Un vrai paradis sur terre », écrit Melchior de Vogüé à propos de Port-Cros.

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