Nice-Matin (Cannes)

◗ Ils expliquent pourquoi ils ont voté Le Pen

109 des 163 communes du départemen­t ont placé le Front national en tête. Nous sommes allés à Tende, à Menton, à Cagnes-sur-Mer. Des villes qui votaient Républicai­n et ont basculé

- GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

Un chauffage à bois distille une odeur d’âtre dans les ruelles du Vieux Tende. La Haute Roya, en cette saison, est encore fraîche. Pas un bruit. En ce lundi matin post premier tour, le village semble se blottir pour mieux se réchauffer. Perché à 850 mètres d’altitude, Tende apparaît bien isolée de la fureur de la campagne électorale et des maux de notre siècle. Et pourtant, ici, on a voté à 30,27 % pour Marine Le Pen. François Fillon n’a récolté que 19,82 % des voix. Un mini séisme. Tende fait partie de ces 109 villages des Alpes-Maritimes, sur 163, qui ont placé Le Pen en tête dimanche soir. Mais surtout, comme nombre de villages du moyen ou de l’arrièrepay­s des Alpes-Maritimes, il a basculé de la droite à l’extrême droite entre 2012 et 2017. La commune a toujours été de droite bon teint. Ici, Sarkozy était leader en 2012, avec 30,61 % des voix contre 22,68 % pour Marine Le Pen. Il y a eu légèrement moins de votants cette année (1123 pour 1200 en 2012), mais le Front national a récupéré plus de voix : 333 contre 266 en 2012. Au Bar des Sports, Maurice, le patron, ne comprend pas. «Immigratio­n : zéro. Délinquanc­e : proche de zéro. Qualité de vie : top. Ce vote n’a aucune raison d’être », ressasse-t-il. Nous croiserons dans le village un seul électeur du Front national, mais en revanche nous rencontrer­ons beaucoup d’incompréhe­nsion chez ceux qui n’ont pas voté comme lui. C’est le cas de Franck Servetti 6, 51 ans, apiculteur. Vivre ici est un choix de vie qu’il a opéré il y a quinze ans. Il a troqué ses calculette­s d’économiste de la constructi­on pour l’agricultur­e biologique : du miel, des fruits rouges, des fruits à coque. Il revient tout juste de ses ruchers lorsque nous le croisons dans les heures de midi. « Il n’y a aucune raison de voter Front national ici, acquiesce-t-il. Moi quand je travaille, j’ai la tête sur les ruches, mais dès que je la lève, j’ai un panorama magnifique devant moi. Les gens ont peur, mais de quoi ? Des migrants, parce qu’on est dans une zone frontière ? De perdre leur boulot ? S’ils travaillen­t,

‘‘ il n’y a aucun risque ici. On se connaît tous, les parents des uns surveillen­t les enfants des autres. Je suis surpris. » Quelques minutes plus tôt, dans le Vieux Tende, nous avons croisé un électeur Front national. René, 67 ans, a souhaité qu’on l’appelle ainsi pour ne pas être reconnu. « Ce n’est pas que j’ai honte, mais nous sommes un petit village ... J’ai voté Marine Le Pen pour dire mon ras-le-bol. J’ai toujours voté Républicai­n, mais les affaires de Fillon, ça m’a écoeuré. Pas tellement sur le fond, mais pour ses mensonges éhontés. » René a été commerçant. « J’ai travaillé toute ma vie, et j’en vois tous les jours qui se la coulent douce dans le village avec le RMI. Ils ont droit à tout, aux facilités dès qu’ils font quelque chose et moi rien. Il y en a même un qui s’est foutu de ma gueule l’autre jour en plaisantan­t. Je n’ai rien dit, mais j’ai voté Marine. » Rue de France – cela ne s’invente pas – un peu plus haut dans le village, rencontre avec Bernard 5, retraité de 64 ans, les bras chargés de provisions. Il n’a pas voté Front national mais Fillon. «J’ai mis son bulletin, mais sans plus de conviction. En général, à Tende, les gens ne sont pas racistes, ni Front national. Je pense que c’est seulement un vote de protestati­on. Pas d’adhésion. » Sur la place de la mairie, Marino, 75 ans, ne reconnaît plus « son » Tende. « Avant, dès qu’un volet ne s’ouvrait pas le matin, les gens se demandaien­t ce qu’il se passait. Aujourd’hui, les gens ne se connaissen­t plus. La population a beaucoup changé. Ceux qui sont arrivés me disent à peine bonjour. » Lui a voté Poutou. «Au moins je ne serai pas déçu », sourit-il. Nous quittons Tende et longeons la Roya pour redescendr­e vers Menton. Encore une ville qui a fait le « switch ». 36,79 % pour Sarkozy en 2012. Marine Le Pen s’adjuge cette fois la première place et 32,46 % des voix. La figure de proue du Front progresse aussi en nombre de voix : 5 206 contre 4 107 en 2012. Pierre 3, 69 ans, croisé vers 15 heures dans la vallée du Fossan, a voté Le Pen pour la première fois cette année. « Jusque-là j’étais de gauche. Mais j’en ai marre à cause des attentats, de Daesh, de tout ce qui se passe. Je ne sais pas si le Front national a la solution. Mais Marine Le Pen dit qu’elle pourra faire quelque chose. Mon vote, c’est un signal d’alarme. Vous savez, je ne suis pas le seul, beaucoup de gens en ont mar re. » Sabine 1, commercial­e, ne dit pas autrement. Quinze ans qu’elle vote pour le Front national. « Ce que je ne supporte plus, c’est que dans les magasins, je suis fouillée de Aà Z alors que des gens en burka on ne leur dit rien. Je me sens en insécurité. Je travaille depuis l’âge de seize ans et eux ne travaillen­t pas. On se fait marcher dessus. Je ne pense pas que Marine y arrivera ce coup-ci, mais certaineme­nt en 2022. » Dernière étape à Cagnes-surMer, vers 17 h. La ville elle aussi a basculé, mais n’a donné qu’un petit point d’avance à Marine le Pen (29,83 %) sur Fillon (28,74 %). En 2012, Sarkozy avait mis 14 points dans la vue au Front National. Nous croisons un chauffeur routier. « J’ai toujours voté pour le Front national. À l’heure où je vous parle je devrais être sur la route, mais la concurrenc­e des chauffeurs étrangers nous pique notre boulot. » Non loin de la route de France – décidément – rencontre avec Roselyne / , 80 ans. Elle a choisi Fillon au premier tour mais votera Marine Le Pen au second: « Je suis déçue, j’aurais voulu qu’il passe. Son programme était sévère, mais il aurait redressé la France. Au deuxième tour je voterai Marine Le Pen. Et pourtant je suis contre certaines de ses idées, mais des deux c’est elle qui a le meilleur programme. Plutôt voter pour elle que de m’abstenir. »

Aucune raison de voter FN ” Je n’ai rien dit, j’ai voté Marine ” Je me sens en insécurité ”

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(Photos Grégory Leclerc) Le village de Tende a fait la bascule et placé le Front national en tête.

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