Le avril
Les partis de gouvernement ? Balayés. Le PS ? Essoré. Les Républicains ? Humiliés. C’est un séisme politique que la France a connu en ce er tour de la présidentielle. Un double avril. Une révolution ? Disons la fin d’un cycle. La première page d’une histoire qui reste à écrire. Inconnu du grand public il y a un an, nouveau venu dans l’arène électorale, Emmanuel Macron a réussi l’improbable exploit : briser les mâchoires du système bipolaire ; ouvrir une voie vers le pouvoir en passant par le centre, ce triangle des Bermudes où tant d’ambitions se sont perdues. Macron Président ? Il y a quelques mois encore, l’idée faisait sourire. Entre la droite et la gauche, il n’y a pas d’espace, disaient
les malins. « Je serais désolé si Emmanuel voulait s’échapper pour mener je ne sais quelle aventure personnelle, confiait Hollande aux journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Non parce que ce serait une déloyauté, mais parce que ce serait sans avenir. Le système est très vorace, il le broierait. » Comme les autres, le président-chroniqueur s’est planté. La « bulle » était une boule de bowling. Peut-être justement parce qu’il n’est pas du sérail, Macron a su discerner et exploiter à son profit ce qui crevait les yeux et que les caciques de la politique française ne savaient pas ou ne voulaient pas voir : le modèle politique en vigueur depuis un demi-siècle ne tenait plus que par l’écorce ; les Français, lassés des alternances à répétition et des affrontements stériles, étaient disposés à rompre avec le « système ». Essayer autre chose. Renverser la table. Avec fracas ou en douceur. Lui proposait la méthode douce.
La politique est affaire de circonstances. Macron s’est trouvé au bon moment au bon endroit. Encore fallait-il savoir saisir la chance. Il a su. Le sémillant jeune homme a une détermination de fer, une inaltérable confiance en lui. Et la baraka en prime : les erreurs stratégiques et les défauts de caractère de ses adversaires ont fait le reste. Le voici favori du second tour. Mais à cette heure, il n’a encore franchi que la première haie, et il y avait pas mal de frivolité dans la manière dont on l’a vu, dimanche soir, pavoiser et célébrer prématurément sa victoire. Cette traversée de Paris, avec motards et caméras. Cette soirée à La Rotonde, qui ne pouvait pas ne pas évoquer la nuit du Fouquet’s. Ce discours de remerciements, si long, et manquant de nerf. Tout cela donnait l’image d’une euphorie un peu déplacée. D’abord, rien n’est joué. Le second tour sera sans doute plus dur qu’on ne le pense. Plus serré que le - qu’annoncent les sondages. Ensuite, nous n’en sommes qu’au tout début de la nécessaire recomposition. Il faudra au futur Président beaucoup de talent pour bâtir une majorité et un gouvernement sur le champ de ruines de la scène politique française. Si flatteur que soit son résultat ( %), le novice ne devrait pas perdre de vue ce que le scrutin révèle de l’ampleur du mal français. La moitié des électeurs, au premier tour, se sont portés sur des candidats extrémistes, ou radicalement anti-européens. Cela fait partie de l’équation. Il doit aussi garder en tête que les « vieux » partis, qu’il a tant méprisés, n’ont pas dit leur dernier mot. Battus, pas encore morts. Les mêmes, à gauche et à droite, qui appellent à voter Macron pour «faire barrage» à Marine Le Pen, fourbissent déjà leurs armes en vue des législatives ; elles seront sans merci. De sorte – situation inédite – que les opposants de demain se trouvent déjà à l’intérieur de la majorité présidentielle d’aujourd’hui. Dans les triomphes romains, il était d’usage qu’un esclave se tienne derrière le général vainqueur et lui murmure à l’oreille : « Souviens-toi que tu es mortel… »
« Rien n’est joué. Nous n’en sommes qu’au tout début de la nécessaire recomposition. »