Nice-Matin (Cannes)

Chute fatale dans le tram niçois : «Plus jamais ça!»

Jacques Burgède, 76 ans, a été victime d’un freinage brutal en avril 2015. Le conducteur doit comparaîtr­e en correction­nelle le 22 mai. Mais la famille pointe du doigt le système lui-même

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@niceamtin.fr

Samedi 11 avril 2015, Jacques Burgède, 76 ans, vient de quitter son domicile pour prendre le tramway. Il est 8 h 26. Le retraité niçois a embarqué devant chez lui, à Saint-Jean-d’Angély, direction la station Saint-Roch. Jacques s’avance vers l’arrière de la rame. Quelques instants plus tard, alors que le tramway circule à 24 km/h, il pile net. Trois passagers chutent. L’un d’eux vient heurter une vitre. Jacques, lui, est littéralem­ent projeté en arrière. Sa tête percute violemment le sol et un poteau de maintien. Une infirmière, présente à bord, lui prodigue les premiers soins. Puis le tramway reprend sa route jusqu’à la station suivante, où les sapeurs-pompiers intervienn­ent. Jacques Burgède est évacué à l’hôpital Saint-Roch, placé en soins intensifs. Son état est rapidement jugé désespéré. Le malheureux décédera le 16 avril.

Arrêt automatiqu­e

Deux ans plus tard, la douleur reste vive pour ses proches. A fortiori à l’heure du procès. Le 22 mai, le conducteur du tramway incriminé devra répondre d’homicide involontai­re devant le tribunal correction­nel. Âgé de 57 ans, il resterait profondéme­nt marqué par ce drame. Son avocate, Me Laure Santini, refuse de s’exprimer avant l’audience. Mais pour la partie civile – en désaccord avec le parquet sur ce point (lire ci-dessous) – cet homme ne serait que « le dernier maillon d’une chaîne de défaillanc­es. » « C’est tombé sur lui. Mais il y a eu un contexte, fulmine Isabelle Burgède, 50 ans, l’une de ses deux filles. Tout le monde sait, depuis des années, que les chauffeurs ont des problèmes de santé liés au système de freinage des tramways. Et que celui-ci n’est plus aux normes. Peut-être que s’il l’avait été, on n’en serait pas là… » Dans le viseur ? Le système de freinage d’urgence du tramway niçois, mis en service en 2007. D’après le rapport d’expertise établi après l’accident, la rame n’était pas conforme à une norme européenne datant de 2003 (NF EN 13 452). Cette dernière n’était pas encore en vigueur lorsque la commande a été passée à Alstom. « Mais entretemps, des rames allongées sont arrivées pour faire face à l’affluence », rappelle la partie civile. Cette réglementa­tion prévoit deux catégories de freinage : l’un en cas de péril imminent, l’autre si le conducteur ne répond pas. Par mesure de sécurité, ce dernier doit appuyer toutes les dix secondes sur un bouton de sécurité. À défaut, une alarme se déclenche pendant trois secondes… Puis le tramway s’arrête.

Pas de fatalité

Le 11 avril au matin, le chauffeur n’a pas pressé le bouton de veille à temps. Cet oubli a déclenché le freinage fatal. Dans un premier temps, il invoquait la présence d’une voiture stationnée à proximité des rails, qui l’aurait distrait en o uvrant ses portières. La régie Ligne d’azur avait déposé plainte contre l’automobili­ste. L’enquête n’a pas permis de confirmer cette version. Deux ans après, l’origine de cette erreur humaine reste floue. Le procès du 22 mai devrait permettre d’y voir plus clair… À moins que le tribunal n’ordonne un complément d’enquête. La partie civile envisage de le demander, partagée entre le souhait de faire son deuil et de rendre cette affaire emblématiq­ue. « Pour éviter que ça ne se reproduise et que ça ne vienne détruire d’autres familles », invoque Me Yannick Le Maux, partie civile avec Me Élie Lions. Me Le Maux distingue « trois axes de responsabi­lité ». « D’abord, le système de freinage mis en place lors de la conception. Ensuite, le chauffeur qui n’a pas réarmé sa garde et qui est donc à l’origine directe du freinage. Enfin, Lignes d’azur qui décide de redémarrre­r le tramway sans s’enquérir de la gravité des blessures. »

« Pour sensibilis­er »

Difficile, dans ces conditions, de se résoudre à accepter cet accident comme un simple drame de la fatalité. D’autant que, comme le rappelle sa veuve Michelle Burgède, « Jacques était très bien. En bonne santé. Il n’y avait aucune raison qu’il parte. Ils ont tout essayé pour le sauver… Mais ce n’était plus possible. L’hématome était trop important. Dès le lendemain, on nous a préparées au pire. » Ce scénario tragique évoque un drame similaire, survenu à Montpellie­r en 2012 (lire ci-dessous) .Il rappelle aussi, selon Me Le Maux, ces « dizaines de chutes » dans le tram, difficiles à recenser, qui n’ont heureuseme­nt pas connu pareille issue. « Nous voulons qu’Alstom prenne ses responsabi­lités et que la population soit sensibilis­ée aux risques encourus. » « Plus jamais ça !, tonne Isabelle, dans un cri d’alarme auquel se mêle la souffrance intime. Que plus jamais, une famille ne vive ce qu’on a vécu. Tout ça pour des soucis d’économie ! » Dévastée par le chagrin, sa mère dit le calvaire qu’elle endure à 70 ans : « C’est très difficile ces derniers mois. J’ai beaucoup de mal à gérer mes émotions. D’autant que chaque jour, le tramway passe sous mon immeuble… »

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(Photo Franck Fernandes) Mes Yannick Le Maux et Élie Lions, partie civile, avec la veuve et l’une des filles de la victime.
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Jacques Burgède,  ans, le passager décédé. (DR)

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