Nice-Matin (Cannes)

Révélation­s sur le drame de Biot

Nice-Matin dévoile un document clé. Et révèle qu’aucun cadre n’était d’astreinte le 3 octobre 2015, mais aussi que les sirènes dysfonctio­nnaient depuis le mois d’août

- Enquête réalisée par Grégory LECLERC gleclerc@nicematin.fr

Trois morts à la maison de retraite Le Clos Saint-Grégoire de Biot, le soir du 3 octobre 2015. Trois personnes âgées coincées dans leur chambre du rez-de-chaussée. Un piège mortel. Le personnel, pris de court, n’a pas eu le temps de les monter à l’étage. Mortes noyées, elles avaient 82, 91 et 94 ans. Elles ont compté au rang des vingt victimes des inondation­s d’octobre 2015. Une famille a déposé plainte contre X pour homicide involontai­re. Le drame de la maison de retraite aurait-il pu être évité ? La réponse semble dramatique­ment évidente. Oui. Trois fois oui. Depuis 1993, le rez-de-chaussée de cet établissem­ent était en effet régulièrem­ent inondé. Des résidents avaient déjà failli mourir. Notamment en 2005 (lire par ailleurs). Cette tragédie pose donc mille questions. Pourquoi le groupe Orpea, devenu propriétai­re des lieux, a-t-il continué à installer des résidents au rez-de-chaussée ? La maison de retraite a-t-elle été prévenue de l’imminence du danger, ce 3 octobre 2015 ? Pourquoi le Plan communal de sauvegarde (PCS) n’a-t-il été déclenché à Biot qu’à 21 h 30, alors que l’alerte était donnée depuis midi dans le départemen­t, nombre de communes agissant déjà depuis plusieurs heures, comme Antibes ? C’est le coeur de l’enquête menée par le juge d’instructio­n Saïda Kelati. Deux personnes ont été mises en examen, dont la maire de Biot, Guilaine Debras, pour « homicide involontai­re par violation manifestem­ent délibérée d’une obligation de sécurité et de prudence ». Mais aussi son responsabl­e du service municipal « infrastruc­tures et risques naturels » pour le même motif. Le procureur de la République avait averti: «La question que je me pose est à charge et à décharge. Le but est que les familles puissent savoir exactement ce qui s’est passé. » Pour éclairer sur les mesures d’urgence qui auraient dû être prises ce jour-là au Clos Saint-Grégoire, Nice-Matin s’est procuré un document confidenti­el. Il date du 21 octobre 2005 (lire ci-dessous). Un mois plus tôt cette année-là, une inondation avait déjà failli coûter la vie à plusieurs retraités du Clos Saint-Grégoire. C’est donc le document « zéro ». L’acte qui instaure enfin, à partir de 2005, une procédure d’alerte et d’évacuation. Il oblige la mairie à envoyer un policier municipal et un fax pour prévenir d’une menace imminente d’inondation. Cette procédure nous a été confirmée par les trois maires concernés depuis : François-Xavier Boucand, Jean-Pierre Dermit et le premier magistrat actuel, Guilaine Debras. Le 3 octobre 2015, l’alerte orange de Météo France avait été lancée à 11 h 30. Selon nos informatio­ns, de source proche de l’enquête, Guilaine Debras, maire de Biot, a validé la réception du message d’alerte du système Viappel à 12 h 46, deux minutes après réception. Un policier municipal a-t-il été envoyé pour prévenir le personnel du Clos Saint-Grégoire du drame potentiel qui menaçait ? Le Plan communal de sauvegarde, alpha et oméga de la sécurité pour un maire, sur la base du document que nous révélons, le prévoyait. Se réfugiant derrière le secret de l’instructio­n, Guilaine Debras refuse de dire si cela a été fait. L’enquête ne semble pas en avoir trouvé trace. Selon nos informatio­ns, le comporteme­nt du maire, ce jour-là, est décrit comme « apathique » par les enquêteurs. Ce qui cadrerait avec la notion de « violation manifestem­ent délibérée d’une obligation de sécurité et de prudence» de la mise en examen. Les enquêteurs n’auraient trouvé aucune mesure tangible prise par la municipali­té jusqu’à 21 h 30, heure de déclenchem­ent du Plan communal de sauvegarde. Il était hélas déjà trop tard pour les résidantes du Clos Saint-Grégoire, mortes noyées. « Un déni de la menace », estime une source proche de l’enquête. « La mairie ne pouvait ignorer l’imminence du phénomène météorolog­ique. » Nos informatio­ns dévoilent que, contrairem­ent aux premiers éléments livrés officielle­ment, personne n’était nommément d’astreinte ce soir-là. Confrontée à ce point, la maire de Biot doit admettre : « Le problème, dans ce Plan communal de sauvegarde, c’est qu’il n’y avait pas vraiment d’astreinte. Cela fait partie des choses qu’il fallait qu’on mette en place. » Le cadre chargé des « risques naturels » était d’ailleurs au match de foot Nice-Nantes qui se jouait, ce soir-là, à l’Allianz Riviera. Joint par téléphone, il confirme : « Je n’étais pas d’astreinte, elle n’avait pas été décidée ». Surprenant, pour le moins, alors qu’une alerte orange était en cours et qu’une partie de l’équipe municipale était réunie, selon les

dernières déclaratio­ns de Mme Debras (page ci-contre) , lors de la réception de l’alerte Viappel à 12 h 46. Par ailleurs, selon une source proche de l’enquête, les sirènes étaient en panne depuis le mois d’août et ne devaient être réparées qu’en décembre. Elles n’étaient donc pas opérationn­elles dans une période à risques. Plus tard dans la soirée, leur local technique sera totalement inondé. Enfin, un dernier point interroge. Selon un proche du dossier, la police municipale aurait délibéréme­nt soustrait des documents aux enquêteurs. Dans quel but ? Que contenaien­tils ? Sans préjuger de la responsabi­lité des uns ou des autres, présumés innocents, ces éléments posent bien des questions. Les familles, elles, attendent urgemment des réponses.

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