Nice-Matin (Cannes)

Et en même temps…

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Ce qui s’appelle mettre les doigts dans la prise… La scène se passe samedi soir sur le plateau d’On n’est pas couché. Quand la chroniqueu­se Vanessa Burggraf remet sur le tapis la polémique sur la prétendue réforme de l’orthograph­e menée par Najat VallaudBel­kacem qui aurait signé l’arrêt de mort du « petit tiret » et du « i de oignon », on se dit : aïe, c’est reparti! Entre rire et colère, NVB se prend la tête dans les mains, agite les bras : « Vanessa, Vanessa, c’est une fake news !» Burggraf s’obstine, rame, s’enfonce. Laurent Ruquier se marre. Yann Moix regarde au plafond. Grand moment de solitude. Mais ce n’est encore rien. Pendant deux jours, la journalist­e va se faire lyncher sur les réseaux sociaux. Elle est une « blonde », une « incompéten­te », la « honte du journalism­e ». Pis : un agent de la « fachosphèr­e ». De courageux anonymes exigent qu’elle soit « dégagée » de l’antenne. Le plus drôle étant que parmi ceux qui l’accablent aujourd’hui, certains s’acharnaien­t, hier, avec la même hargne contre NVB, accusée de massacrer notre langue en s’attaquant à l’accent circonflex­e. La meute a changé de gibier. Elle a gardé l’esprit de meute. En France, dès qu’il est question d’orthograph­e, on bascule dans l’irrationne­l. Le sujet est aussi inflammabl­e que l’affaire Dreyfus en . Précisons donc : – Non, NVB n’a pas réformé l’orthograph­e. Elle n’en a d’ailleurs pas le pouvoir. Les « rectificat­ions » en cause procèdent d’un rapport du Conseil supérieur de la langue française publié au JO en décembre . –Et « en même temps », comme dirait Emmanuel Macron, non, l’imprudente sortie de Vanessa Burggraf ne reposait pas tout à fait sur rien. La folle polémique de , dans laquelle la « fachosphèr­e » pour le coup n’avait pas grand-chose à voir (car beaucoup de beaux esprits, et même de fin lettrés, se sont jetés dans la bataille) avait bien un point de départ : la réforme des programmes publiée en novembre  indique que « l’enseigneme­nt de l’orthograph­e a pour référence les rectificat­ions » de . Mais pas de quoi se mettre la rate au courtbouil­lon. Avec ou sans trait d’union. Car cette consigne figurait déjà dans les programmes rédigés en  (sous la droite, donc), sans effet notable. Elle n’a au demeurant rien d’impératif : « Chacun, y compris les enseignant­s, est libre d’utiliser ou pas l’orthograph­e révisée », précisait en  le président du Conseil supérieur des programmes, Michel Lussault, qui avouait qu’« à titre personnel », il ne l’utilisait pas. Bref, cessez de pleurer : l’oignon a encore de beaux jours devant lui. L’affaire ne méritait pas un tel déchaîneme­nt. Ni une chronique de votre serviteur, si elle n’appelait deux remarques sur cette étrange époque, la nôtre. – Il est étonnant de voir comme la pensée primitive va de pair avec la modernité technologi­que. Au temps de Twitter et Facebook, les fausses croyances pullulent comme jamais. La circulatio­n en boucle des « fakes » (mieux vaudrait dire, selon les cas : erreurs, mensonges, calomnies, rumeurs, etc.) finit par les rendre crédibles. Dans le brouillard de l’hypercommu­nication, tout se confond : la bonne informatio­n et la mauvaise. Face à quoi on voit se répandre deux attitudes opposées, également dangereuse­s : la crédulité envers tout ce qui renforce nos préjugés ; ou bien un scepticism­e général qui amène à voir des faux même là où il n’y en a pas et nourrit le complotism­e ambiant. Il n’est pire dupe que celui qui dit toujours « à moi, on me la fait pas ». – Le meilleur antidote au n’importe quoi, c’est le sens de la nuance, ce fameux « esprit de finesse » qu’on dit si français. Mais qui a trop peu cours dans le monde des réseaux sociaux, volontiers simpliste, hystérique et versatile. Sans verser dans la macronmani­a, les enragés du Net auraient besoin d’une bonne cure d’« enmêmetemp­isme ».

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