Nice-Matin (Cannes)

À Nice, enfant du viol, enfant battue

Ballottée dans sa famille, battue, menacée d’être renvoyée au Sénégal... Awa, 10 ans, est considérée comme l’enfant de la honte. Sa maman, martyre et bourreau, a été condamnée hier par la justice

- CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr

Awa, 10 ans, aime sa maman mais sa maman ne l’aime pas. Pire, Awa est battue, (1) menacée d’être renvoyée au Sénégal. Dans le pays d’Afrique où elle est née, elle était l’enfant de la honte. Isabelle, sa mère, a été violée. Elle a caché, dans un premier temps, l’existence de cette enfant à son futur mari, un retraité de Menton. Awa a été ballottée dans la famille de sa maman, considérée comme une servante, corvéable à merci. Un jour, de retour dans le village de sa femme, Pierre a découvert l’existence d’Awa. Il a décidé de l’adopter et de la ramener à Menton. Awa, qui ne maîtrisait pas le français, a fait des progrès spectacula­ires. Pas suffisamme­nt aux yeux de sa mère qui la frappait pour des broutilles. Une institutri­ce trouvait anormal que l’enfant panique à ce point quand elle oubliait un vêtement ou un stylo. Elle suspectait de la maltraitan­ce. L’enquête a confirmé ses craintes. À l’instar de Pierre qui reconnaît que la cohabitati­on entre Awa et sa mère est problémati­que.

Souffrance irradiante

Isabelle a été mise en examen pour violences habituelle­s sur mineure de moins de 15 ans par ascendant de 2014 à 2016. L’enfant a été placée pendant six mois. Un nouveau déchiremen­t pour la fillette qui a très mal vécu cette énième séparation. Aujourd’hui, Isabelle affirme ne plus frapper sa fille. Elle devait répondre, mercredi devant la justice, des coups avec une ceinture ou un tuteur, des douches brûlantes, qu’elle a parfois fait subir à la petite. À la barre du tribunal correction­nel, la souffrance irradiante d’Isabelle, lors de l’évocation de son viol, met mal à l’aise. Heureuseme­nt, il est tard. La salle d’audience est vide. Le tact et la pudeur avec lesquels la prévenue est interrogée par la présidente Laurie Duca ne suffisent pas à dissiper le malaise. Me Cindy Marafico, conseil de l’administra­teur ad hoc la fondation Acte Pélican, défend les intérêts d’Awa. Elle aussi n’est pas insensible à la détresse de cette mère à la fois martyre et bourreau: «J’ai vu des larmes couler sur votre visage. Vous avez admis un certain nombre de choses. J’ai entendu votre souffrance. Le travail va être long. On n’effacera pas les violences mais on cherche qu’Awa souffre le moins possible. » Chacun espère sans trop y croire que ce procès est une page qui se tourne, l’occasion d’un nouveau départ. Isabelle affirme qu’elle va essayer d’aimer son enfant. Le procureur Fabrice Karcenty saisit la phrase au bond : « Cela résume la complexité de cette affaire. “Essayer d’aimer son enfant”, comme ces mots sonnent mal entre eux ! »

« On n’a pas le droit de tout quand on a souffert »

Le parquet doit requérir une peine : « Parce qu’on n’a pas le droit de tout quand on a souffert. Cette souffrance ne peut pas tout dévaster. Il est interdit de faire payer à son enfant ce qu’on a vécu. » Un expert évoque l’altération du discerneme­nt d’Isabelle. Une circonstan­ce atténuante. Le procureur demande au tribunal d’en tenir compte. Il requiert une peine de 30 mois, mais assortie intégralem­ent du sursis, trois ans de mise à l’épreuve, avec une obligation de soins. Le tribunal restera dans cette logique en prononçant 24 mois avec sursis, avec cette très longue mise à l’épreuve.

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