Nice-Matin (Cannes)

Villeneuve: «Je m’en serais voulu de passer à côté»

Sacré champion du monde il y a vingt ans, Jacques Villeneuve enclenche la marche arrière pour retracer son fameux duel avec Michael Schumacher conclu brutalemen­t au bout du suspense

- PROPOS RECUEILLIS PAR GIL LÉON

Cette année-là, le dimanche  mai, sa chevauchée monégasque avait viré au fiasco loin derrière un Michael Schumacher en état de grâce. Seize petits tours et puis s’en va… Touchette fatale. La faute aux pneus slicks choisis par une écurie Williams tombée plein gaz dans le piège du ciel chagrin de la Principaut­é. « La piste était déjà très humide lors de la mise en grille. Je n’ai jamais compris pourquoi l’équipe s’est fourvoyée ainsi », rigole Jacques Villeneuve. Vingt ans plus tard, avant de coiffer son casque de consultant pour Canal +, le Canadien jette un oeil dans le rétro à notre invitation, histoire de retracer la mémorable saison  ayant débouché in extremis sur son premier et unique titre de champion du monde. Marche arrière et top départ, avec cette faconde intarissab­le dont on ne se lasse pas...

Jacques, dites-nous, ça fait quoi d’avoir vingt ans ?

C’est d’abord l’occasion de constater que le temps avance à toute vitesse. Quand j’y pense, la saison  ne me paraît pas si lointaine. Les années filent et ça reste plus que jamais un souvenir génial. Vous savez, ce titre mondial, il s’est joué à pas grandchose. Si je l’avais loupé, il y aurait eu un effet négatif qui m’aurait suivi durant tout le reste de ma trajectoir­e. Sûr que je m’en serais voulu de passer à côté…

Dès les premiers tours de roue en Formule  italienne, à l’aube des années , vous espériez devenir champion du monde de F ?

Oui, puisque je suis entré en compétitio­n avec un but, un seul : gagner. À mes yeux, ce titre représenta­it l’objectif ultime. Celui que l’on atteint au bout de ses efforts, de ses rêves. Je suis content d’en avoir obtenu un, mais j’aurais aimé en décrocher d’autres…

Le Grand Prix d’Europe déterminan­t, marqué par le fameux accrochage avec Schumacher, demeure-t-il aujourd’hui le moment le plus intense de votre carrière ?

Oui. Ce jour-là, il y avait une énergie incroyable. D’une

part, il s’agissait de la dernière course de l’année. Tout se jouait à Jerez. Pour Williams, pour Renault et pour moi, je voulais absolument récolter le fruit du travail fantastiqu­e accompli durant les mois précédents. Et puis on ne se battait pas contre n’importe qui. C’était Michael. Et le suspense avait duré jusqu’au bout car je devais impérative­ment couper la ligne d’arrivée pour coiffer la couronne.

Au moment du choc, vous pensez tout perdre ?

Ah oui ! Je sentais qu’il y avait des dégâts sur la voiture. Mais lesquels ? Grave ou pas grave ? Impossible à évaluer. Alors, j’ai baissé la cadence. Je n’accélérais plus à fond. Je ne tapais plus dans les freins. J’évitais les vibreurs. La victoire m’importait peu. L’essentiel, c’était de finir. Glaner les quelques points décisifs. Finalement, bien m’en a pris car nous nous sommes aperçus après la course que la batterie ne tenait plus que par les fils. Normalemen­t elle aurait dû lâcher !

Michael Schumacher, vous le considérie­z comme un rival à part ?

Vous voulez que je vous dise ? En fin de compte, c’est le seul vrai adversaire que j’ai eu durant ma carrière. Tout le monde se souvient de la saison  car ce fut l’unique match au sommet, titre en jeu. Mais nos premières bagarres datent de . Et les années suivantes, lorsque je me retrouvais devant lui, il mettait du temps avant de tenter sa chance. Comparé aux autres pilotes, il y avait entre nous une sorte de respect mutuel supérieur.

La Williams FW-Renault, elle se situe où aujourd’hui sur votre échelle personnell­e ? En pole position ?

Certaineme­nt. Ce n’est pas la voiture la plus compétitiv­e que j’ai eue entre les mains. Les F pilotées ensuite, jusqu’en -, marchaient plus fort. Mais celle-là, elle faisait ce que je voulais. J’avais longuement participé à son développem­ent en  et, bien que très pointue à exploiter, elle m’allait comme un gant. La fenêtre d’utilisatio­n s’avérait très mince, surtout en qualif’. Sans des réglages optimums, elle était “inconduisi­ble”. Demandez à mon coéquipier de l’époque ! Frentzen, lui, il ne s’en sortait pas. Bref, il fallait chercher la perfection et j’adorais ça.

Au soir de votre sacre à Jerez, si on vous avait dit que vous ne gagneriez plus un seul Grand Prix ensuite…

(Du tac au tac) Je me serais roulé par terre en rigolant. (Il se marre) Ce titre, dans mon esprit, ce n’était qu’un début. Bon, moi je suis quelqu’un de très positif de nature, voilà !

Si votre parcours en F était à refaire, alors, vous changeriez quoi ?

Le second contrat avec l’écurie BAR-Honda, sans aucun doute. Ce team, je ne regrette pas de l’avoir créé avec Craig [Pollock, son ami et manager, ndlr] car ce fut une belle aventure au début. La structure était solide. Elle a d’ailleurs tutoyé les sommets plus tard sous l’appellatio­n Brawn GP et ça continue aujourd’hui avec Mercedes. Mais quand la politique a pris le dessus, fin  (David Richards remplaçant Pollock aux manettes), peutêtre que j’aurais mieux fait de saisir l’offre formulée par Renault et Flavio Briatore au lieu de prolonger. Le coeur a prévalu sur la raison. Mauvais choix ! Trouvez-vous que le monde de la F à beaucoup changé ?

Oui, comme la vie, la société. À l’époque, on ne connaissai­t pas Facebook, Twitter. Moi j’ai débuté en Formule  à  ans. Maintenant, on démarre à - ans. Très jeune. Voire trop. Mais les nouvelles monoplaces vont peut-être provoquer un retour en arrière. Plus complexes, plus physiques à exploiter, elles réclament du talent et de l’expérience. C’est bien pour la discipline.

Comment pourrait-on encore améliorer le show à vos yeux ?

D’abord, il faudrait démocratis­er la gomme (sic). C’est-à-dire supprimer ces règles imposant d’utiliser deux types de pneus par course. Relancer aussi la concurrenc­e en acceptant un deuxième manufactur­ier. D’une manière générale, ça ne sert à rien d’imposer le spectacle. Celui-ci doit provenir d’une vraie bataille entre les pilotes, pas de dépassemen­ts artificiel­s provoqués par des gadgets tels que le DRS. Les fans se souviendro­nt plus d’une course marquée par une bagarre d’anthologie que d’une autre jalonnée d’une cinquantai­ne de pseudodépa­ssements. La F n’est pas un cirque !

Pour conclure, croyez-vous que Ferrari va renverser Mercedes cette année ?

J’ai l’impression qu’ils sont bien partis pour… Leur voiture  me semble très réussie. Elle a l’air facile à piloter. Regardez Barcelone : en début de saison, le Grand Prix d’Espagne a toujours valeur de test. Mercedes y a introduit un paquet d’évolutions mais la Ferrari a fait jeu égal. Leur duo de pilotes paraît aussi un peu plus solide, car Bottas manque encore de régularité. Donc, oui, ça risque bien d’être l’année Ferrari.

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(Photo Jean-François Ottonello) Jacques Villeneuve : « Quand j’y pense, la saison  ne me paraît pas si lointaine. Les années filent et ça reste plus que jamais un souvenir génial. »
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 : Villeneuve et Williams unis pour le meilleur.
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