L’usine à cash des “Mareyeurs” dans la nasse judiciaire
Les Mareyeurs du Sud-Est, une entreprise familiale niçoise, s’étaient bâtis un quasi-monopole dans la vente de poissons et crustacés. A coups de fausses factures et de pots-de-vin? Le procès débute demain
C’est un procès-fleuve qui s’ouvre demain devant le tribunal correctionnel de Nice. Durant plus de quinze jours les magistrats vont se pencher sur l’affaire des Mareyeurs du SudEst. En novembre 2012, le siège social de cette entreprise familiale niçoise, au MIN, avait été perquisitionné par les gendarmes. Les investigations avaient alors permis de mettre au jour la double comptabilité que tenait depuis des années ce fleuron économique local. Ainsi que du cash, beaucoup de cash ! Le procureur de la République de Nice évoque un « véritable système » dont les rouages vont donc devoir s’expliquer à la barre des faits de « corruption », « escroquerie », « faux et usage de faux », ou encore « travail dissimulé » et « abus de bien social » qui leurs sont notamment reprochés. Une cinquantaine de prévenus sont ainsi poursuivis, de l’ancien directeur général des Mareyeurs du Sud-Est jusqu’au livreur de la société, en passant par les chefs de rayons de plusieurs enseignes de la grande distribution, ou encore les cuisiniers et chefs de rang de grands restaurants azuréens.
Surfacturation et pots-de-vin
Tous seraient complices du « système » mis en place par les Mareyeurs du Sud-Est pour se tailler, au fil des ans, un quasi-monopole sur le marché de la vente de poissons frais et de crustacés. Pour cela, l’entreprise niçoise était prête à récompenser cash la fidélité de ses clients, restaurants, poissonneries ou encore rayons marée des petites et grandes surfaces. Leurs responsables sont suspectés d’avoir touché des rétrocommissions en liquide. Ces « enveloppes » pouvaient atteindre jusqu’à 4 % du montant de leurs commandes. Et pour générer le cash qui lui servait à payer des pots-de-vin l’entreprise niçoise n’aurait pas hésité à surfacturer ses produits aux grandes enseignes de la distribution, dont certaines se sont d’ailleurs constituées partie civile. Les enquêteurs ont ainsi découvert que les prix pouvaient varier du simple au triple d’un magasin à l’autre.
« Gâchis » économique
Mais certains clients des « Mareyeurs » étaient eux-mêmes complices de ce système qui permettait, aussi, à plusieurs restaurants d’écouler leur propre « black ». C’est l’économie parallèle de toute une filière qui aurait ainsi été mise au jour. Et pour le procureur JeanMichel Prêtre, « ce dossier révèle des pratiques qui ne sont d’ailleurs pas propres au mareyage ». Le procès qui s’ouvre ce jeudi pourrait ainsi devenir celui de l’économie au noir. Même si, du côté de la défense, on n’en a évidemment pas la même lecture. Pour Me Philippe Soussi, qui défend Jean-Marc Le Pape, l’ancien gérant des Mareyeurs du Sud-Est, cette affaire n’est « en rien emblématique ». Son client a « reconnu dès le début l’essentiel des faits qui lui sont reprochés et va s’en expliquer désormais devant les juges », résume-t-il laconiquement. Son confrère, Me Bertrand Dubois, qui défend Pascal Blanc, numéro 3 dans l’organigramme des « Mareyeurs », a « un peu l’impression que, dans cette affaire, on a voulu ratisser large » avec pour conséquence « un immense gâchis au final » : « Cette entreprise était valorisée 40 millions d’euros au moment des faits, elle a été revendue pour seulement 400 000 euros, rappelle-t-il. Cette affaire a fait exploser la société ! »
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Virements aux Bahamas
Si ce n’est que la belle success story économique se serait construite sur des pratiques que le procureur de la République n’hésite pas à qualifier de « délinquantes », telles que la corruption. « Reste à savoir qui, des Mareyeurs ou de ses clients, corrompait qui », rétorque Me Dubois qui affirme que « bien souvent ce sont les clients qui étaient en demande d’une facturation occulte » . Les « Mareyeurs » se seraient en quelque sorte pliés aux règles du marché. Ce qui, pour autant, semblait faire aussi ses affaires. Lors de leurs perquisitions les gendarmes avaient découvert plus d’un million d’euros en liquide dans les coffres de l’entreprise. Certains transferts d’argent des Mareyeurs du Sud-Est vers sa filiale des Bahamas interrogent aussi. Notamment des virements de plus de 3 millions d’euros pour acheter des langoustes qui n’auraient jamais été livrées !