Nice-Matin (Cannes)

Mgr Marceau: « Il faut sortir de la logique de peur »

De retour de Terre sainte et du Liban, l’évêque de Nice évoque ses voyages, ses rencontres et l’actualité du monde, de Daesh à la campagne présidenti­elle française

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURE BRUYAS lbruyas@nicematin.fr

L’évêque de Nice est un pèlerin, un humble qui voyage, un érudit qui s’enrichit de l’autre, des rencontres. Au fil des chemins terrestres et spirituels qu’il parcourt, Monseigneu­r André Marceau nourrit une pensée d’ouverture, moderne, vivante. De retour de Terre sainte, il reçoit au calme des oliviers de l’évêché. Et évoque sans détour le tumulte du monde, la crise des réfugiés, des chrétiens d’Orient, la campagne présidenti­elle française, les musulmans, Daesh et la foi (1).

Vous vous êtes rendu en Terre Sainte...

Je suis parti en pèlerinage en mars avec les chevaliers du SaintSépul­cre de Nice qui ont une mission prioritair­e pour l’aide aux églises de Terre Sainte. Nous avons visité l’école du Patriarcat latin à Jérusalem où certains chevaliers soutiennen­t des élèves et le séminaire à Beit Jila où d’autres subvention­nent des séminarist­es. Puis Nazareth, la Galilée, le monde des béatitudes, le bord du lac, Jérusalem… Le temps fort, cette année, a été la célébratio­n de la messe au tombeau du Christ tout juste restauré. Les travaux ont été inaugurés le  mars, on est entrés le  au matin à  h . L’édicule est tout petit. Nous étions serrés les uns contre les autres. Le père Angella de la cathédrale Sainte-Réparate, le père Sylvain Brison qui est aumônier et moi avons lu, côte à côte, le texte de la résurrecti­on du Christ dans ce lieu. Nous avons redit notre foi.

Vous avez visité le monastère d’Emmanuel de Bethléem…

Au pied du mur de séparation édifié par Israël vivent six soeurs européenne­s. Elles accueillen­t en contrebas de ce mur qui écrase leur petit monastère. Quand Israël a construit cette barrière, ils leur ont pris des terres. Elles n’ont pas un mot de récriminat­ion ou de violence. Elles ont fait écrire une énorme icône de la Vierge et l’enfant sur le mur. C’est une résistance d’amour, elles disent qu’il n’y a que cela qui fait tomber les murs dans nos coeurs. En bas de cette barrière qui peut dire la haine, elles ont lavé les pieds des pèlerins. J’en ai vu pleurer…

Il y a d’autres murs. La Méditerran­ée est un mur d’eau où se noient des désespérés…

C’est à nos portes que sont ces migrants. Des hommes, des femmes et, de plus en plus, des enfants. C’est le fruit d’un système mondial injuste empli de déséquilib­res. Déséquilib­res économique­s, politiques et de reconnaiss­ance des gens. Traverser la Méditerran­ée, c’est franchir la mer Rouge. C’est l’exode. Ces migrants sont perçus comme des intrus, des envahisseu­rs. Certains disent qu’ils nous apportent violence et attentats : on ne peut pas entendre ça !

Certains font frontière en évoquant les racines chrétienne­s de la France

Si l’arbre est vivant, il faut que l’on en voie les fruits. Si on parle de racines chrétienne­s pour exclure, c’est que l’arbre est mort.

Il y a aussi des citoyens solidaires…

Dans l’opinion publique, dans notre départemen­t, il est des gens de bonne volonté, qui accueillen­t. Les gens de la Roya, majoritair­ement, ont le coeur ouvert. Accueillir, c’est notre vocation en terre d’Occident.

Ceux qui aident sont parfois poursuivis…

Il faut donner droit aujourd’hui dans des actes concrets à ce qui est une situation d’urgence. L’urgence, c’est d’aider son prochain, son frère. C’est reconnaîtr­e que tout homme a droit à la vie. Bien des citoyens vont dans ce sens non par intérêt, non pour se mettre en avant, mais pour dire la noblesse de l’engagement humain et de la vie. Il y a un travail à faire à tout niveau et même dans la justice d’interpréta­tion. Un travail urgent est à mener au niveau de l’Europe : il faut prendre à bras-lecorps cette question. Avec l’évêque de Vintimille et l’archevêque de Monaco nous avons bien souvent signifié par notre présence lors de certaines manifestat­ions que la main tendue au-delà de nos frontières, la générosité et la reconnaiss­ance de l’autre ne sont pas de vains mots. Mais que pèse-t-on par rapport aux machines étatiques ?

Vous êtes allé au Liban au printemps. Vous y avez rencontré d’autres réfugiés : les chrétiens d’Orient ?

C’était un pèlerinage découverte du Liban organisé par « Les jeunes profession­nels de Sophia Antipolis ». Pendant la semaine sainte, nous sommes allés à la rencontre de l’église catholique du Liban dans sa diversité, à la fois du rite maronite et du rite melkite. Au Liban, le fait chrétien est minoritair­e mais il est reconnu constituti­onnellemen­t. Ils ne sont pas persécutés comme en Syrie et en Irak. Le Liban est un pays laïc, qui a été pendant des années un modèle de vivreensem­ble. Vivre-ensemble qui est menacé par la situation au ProcheOrie­nt. Nous soutenons l’OEuvre d’Orient par des dons qui servent, par exemple, à subvention­ner le maintien d’étudiants chrétiens à Kirkuk, dans leur université, pour qu’ils y soient cette force vive de reconstruc­tion et d’espérance.

Vous avez reçu, à Nice, au mois d’avril, l’évêque égyptien Ibrahim Isaac Sidrak…

Il représente les chrétiens coptes catholique­s d’Égypte. Il nous a dit leur courage. Lui-même a son siège à Alexandrie, visée par un attentat il n’y a pas si longtemps. Dans ces pays, les catholique­s ont appris à vivre avec les musulmans sans les considérer comme des ennemis. Les évêques du Liban ne nous ont pas tenu de discours de peur. Ce qu’ils craignent c’est Daesh.

Pourra-t-on gagner contre Daesh ?

Daesh est un monstre à de multiples têtes. On gagne une ville, ils se reforment dans une autre. Éradiquer Daesh, c’est éradiquer la cause des extrémisme­s. C’est d’abord le fanatisme religieux : l’islam prend la mesure du travail qu’il a à faire sur lui-même. Des choses commencent à frémir. C’est un long travail. Daesh se nourrit également de causes économique­s, causes politiques, de causes liées à la non-prise en compte de certains États par les grandes puissances. Daesh prospère aussi sur une incapacité à jouer une carte commune contre un danger commun. Autant de paramètres qui rendent la solution compliquée. Mais on ne peut pas laisser des bombes avec la mèche qui brûle.

En France, on sort d’une campagne présidenti­elle violente… C’était une campagne difficile pour la démocratie de notre pays sans véritable projet qui puisse fédérer les Français. Il y a eu des éléments qui ont choqué les Français même s’il n’y avait aucun manque à la légalité. Mais au sens moral... Il est dommage que les partis n’aient pas senti ce qui était en train de se passer. On est arrivés, là, à une décrédibil­isation de la classe politique.

La laïcité est un principe fondateur de notre pays… Il y a les partisans de la ligne dure et ceux qui dénoncent une laïcité à deux vitesses...

 a été un moment difficile pour l’Eglise. L’usage prouve qu’il y a là un chemin de sagesse. Des équilibres ont été trouvés. Cela a été une manière d’institutio­nnaliser les relations Etat-Eglise Un déséquilib­re s’instaure aujourd’hui. Un déséquilib­re exploité de tous bords entretenu dans des buts inavouable­s qui trahit cette loi qui voulait instituer une sérénité des rapports. Je le vis mal et je le dénonce.

Un déséquilib­re patrimonia­l existe aussi entre les religions catholique­s et musulmanes

L’Eglise catholique a un patrimoine historique et depuis  un patrimoine privé. Il est tout à fait logique que les croyants de religion musulmane puissent vivre leur foi dans des lieux dignes qui aient pignon sur rue. Ces lieux il faut les bâtir. Et si les associatio­ns sont correctes, il faut cesser de jouer avec le feu. Il y a des attitudes, des propos tenus sur des situations très concrètes touchant aussi la communauté musulmane qui ne peuvent pas servir la cause du respect mutuel surtout s’il y a disqualifi­cations de certaines autorités.

Commen voyez-vous l’avenir de notre pays ?

L’avenir est très incertain. Les vieux démons sont déjà de retour. C’est en appeler au chacun pour soi, au sauve-qui-peut pour les partis politiques sans la mise en cause. C’est ne pas vouloir jouer un dialogue qui pourrait être constructi­f et rassembler. Nous ne sommes pas dans une logique d’espérance. Il faut sortir de la logique de peur...

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(Photo Franck Fernandes) Monseigneu­r André Marceau dans les jardins de l’évêché.

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