Nice-Matin (Cannes)

Boris Cyrulnik : « Ces garçons ont perdu un degré de liberté intérieure »

- PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE MICHEL kmichel@nicematin.fr

Pour l’éthologue et psychiatre Boris Cyrulnik, l’attentat de Londres est à inscrire au rang d’une nouvelle « épidémie, en train de se répandre à l’échelle de la planète », et qui n’est pas sans en rappeler d’autres : « En Suède au XIIe siècle, on appelait ça “les berserk”, des hommes soumis à une sorte de croyance selon laquelle il fallait tuer le plus grand nombre de mécréants possibles. L’écrivain Stefan Zweig a témoigné de la “course à l’amok” en Thaïlande: des hommes, soumis là encore à une croyance, prenaient une arme, se précipitai­ent dans les marchés ou dans la foule et tuaient le plus de gens possible sachant qu’à leur tour, ils seraient tués. Mais leur croyance était si forte qu’ils pensaient que leur mort était relative. Ils iraient vivre ailleurs, dans un paradis, parce qu’ils auraient fait la justice au nom d’une morale… Ce sont des hommes, et parfois des femmes, soumis à une croyance sans jugement. Ils se laissent embarquer par un phénomène de fanatisati­on, ils perdent leur qualité de jugement. Ce sont souvent des garçons sans éducation, qui n’ont jamais appris à juger, réfléchir, à douter avant de passer à l’acte. Ils ont perdu un degré de liberté intérieure et se laissent “sub-juguer” c’est à dire se mettent “sous le joug” et se lancent pour tuer le plus grand nombre de personnes possibles en croyant agir au nom de la morale. » Pour lutter contre le phénomène et participer à l’éradicatio­n de cette épidémie, le père de la «résilience», cette capacité à se reconstrui­re après un traumatism­e, estime que les médias – au sens large du terme, c’est-à-dire tous les relais des mots : journalist­es, mais aussi politiques, etc. – qui d’une certaine manière participen­t à cette épidémie psychique, «doivent veiller à donner plusieurs discours opposés, de façon à ce que ces faibles d’esprit, ces jeunes “largués de la culture”, mal éduqués, puissent apprendre à juger et non à se soumettre à un discours fanatique. » « Les Allemands ont été soumis à un récit fanatique dans les années , ajoute Boris Cyrulnik. Tout le monde, dans ce peuple très cultivé, a participé à l’épidémie de croyances fanatiques. Les journalist­es, les intellectu­els et les gens du peuple, notamment les enfants qui n’ont pas appris à juger et qui s’élevaient contre leurs propres parents. On a vu cela en Iran, à l’époque où les mollahs s’emparaient du discours…», conclut le psychiatre seynois, qui souligne que pour l’instant, « ce sont les musulmans qui paient le plus lourd tribut de ce discours fanatique, même si nos sociétés sont confrontée­s à des retombées comme à Paris, à Nice, à Manchester et maintenant Londres».

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