«Ce n’est pas une question d’usure!»
«Rudy Salles, votre député.» L’étiquette bleue sur l’interphone semble écrite à l’encre indélébile. Elle n’aura pourtant plus cours d’ici quelques jours. C’est ici, au coeur de Nice, au deuxième étage d’un immeuble avenue Jean-Médecin, que Rudy Salles a entendu sonner le glas de sa carrière à l’Assemblée. Si longue carrière, débutée en 1988, rythmée par six mandats successifs. Mais même en terres niçoises, un «tsunami» nommé Macron est passé par là. «Bon, voilà. C’est une vague, on ne va pas épiloguer», murmure Rudy Salles à ses troupes dépitées. Chez les militants, peu ont le coeur à s’épancher. Seule Hélène Fouassier, 47 ans, s’efforce de masquer sa déception pour saluer le bilan d’un « député d’excellence ». Le candidat UDI-Nouveau Centre, lui, réajuste le col de sa chemise, esquisse son inaltérable petit sourire teinté de bonhomie, et tente de relativiser cette défaite aux airs de coup de tonnerre. La chute de Rudy Salles ? « Non. J’ai eu la chance d’être député pendant 29 ans - un record dans le département. Cela a été une grande fierté de le représenter à l’Assemblée. Quitter mes mandats municipaux était un crève-coeur; je vais pouvoir m’y consacrer pleinement. » Po-si-ti-ver, malgré tout. A 62 ans, ce vétéran de la politique l’admet : «Ce n’est pas un moment agréable. Mais on le sentait venir sur le terrain. Les gens votaient pour Emmanuel Macron, pas pour son candidat dans la circonscription - personne ne le connaît! Si François Fillon avait été élu, le schéma aurait été totalement différent…» L’élu sortant de la 3e circonscription refuse de croire à la théorie du mandat de trop. «Ce n’est pas une question d’usure. C’est un phénomène qui nous dépasse largement.»
« Aigreur dans la défaite » Alors, en adjoint et très proche de Christian Estrosi, Rudy Salles adresse ses encouragements au nouveau président et à son candidat local. Il fustige, en revanche, « la campagne odieuse » et les «manoeuvres frauduleuses» d’un Philippe Vardon qu’il ne s’interdit pas d’assigner au tribunal administratif. «Quand on voit que 300 voix nous séparent… » «Je ne sais pas ce que M. Salles me reproche, rétorque Philippe Vardon, joint par téléphone. C’est un peu triste de voir cette forme d’aigreur dans la défaite. Rudy Salles se cherche des excuses, mais il ne doit s’en prendre qu’à lui-même, à son très mauvais bilan et à ses propres ambiguïtés! Ce sont aussi celles de M. Estrosi, un peu minoritaire dans sa propre ville ce soir… » Le candidat Front national, qualifié dans une circonscription où il n’était pas attendu, ne cache pas sa «vraie satisfaction», voyant là «la récompense d’un travail de terrain. » Après avoir cogné sans retenue sur Rudy Salles, Philippe Vardon réoriente ses punchlines contre son adversaire En Marche! «Il bénéficie d’une vague nationale, mais qui n’est qu’une vague. Maintenant, on est dans le grand éclaircissement. Moi, les Saint-Andréens, les Faliconais, les Trinitaires, les Niçois me connaissent!» Cédric Roussel a beau être encore inconnu du grand public, le voilà loin devant à l’issue du premier round. Et les applaudissements nourris de ses militants accueillent sa sortie du Gaspacho. Dans ce bar-restaurant de l’avenue Malausséna, les sourires et les verres qui trinquent contrastent avec l’ambiance au QG du candidat sortant. «On a le droit de se réjouir. On a fait une campagne qui nous ressemble: une campagne joyeuse, qu’on espère victorieuse», lance Cédric Roussel à ses troupes.
« Tout le monde a eu une première fois… » Cet entrepreneur, porté par le vent de «renouveau» qui souffle sur la France, entend bien «faire participer nos concitoyens à cet élan. » Mais un novice en politique peut-il utilement succéder à un vieux briscard de la politique ? «Tout le monde a eu une première fois. M. Salles aussi, sourit Cédric Roussel. Moi, je ne regarde que devant. » Novice, un handicap? Plutôt un argument, estime Tassadit Derradj, la suppléante de Claude Roussel. «Les gens en ont marre du costume politicien. Ils veulent donner leur chance aux candidats de la société civile. » Cette société que Bruno Coulet, candidat La France Insoumise, aura tenté de représenter, sans démériter. Si « l’abstentionnisme est le grand gagnant» à ses yeux, la fin de l’ère Salles dans la 3e circonscription est symptomatique d’un profond bouleversement. «C’est la fin des partis politiques. Et il est temps qu’ils le comprennent…»