Nice-Matin (Cannes)

Hommage : 86 galets déposés dans l’Himalaya

Dix-sept marcheurs vont quitter Nice demain pour l’Inde, emportant à plus de 6 000 m d’altitude 86 galets aux noms des victimes du 14-Juillet. Une expédition qu’ils ont préparé avec les jambes et le coeur

- TEXTES ET PHOTOS : CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Ils vont devoir dépasser leurs limites. Mentales autant que physiques. Parce que le message qu’ils porteront sur leurs épaules est plus grand que la douleur. Le  juillet prochain, un an après la tragédie de la Prom’, un coeur de galets trônera sur la chaine du toit du monde.  galets, peints en bleu-blanc-rouge par des écoliers de L’Escarène, portant chacun le nom d’une victime de l’attentat de Nice.  galets déposés au sommet du Stok Kangri, dans l’Himalaya, à   m d’altitude. C’est le défi sportif, hautement symbolique, relevé par dix-sept marcheurs. Parmi eux, une seule victime de l’attentat. Mais tous ont été touchés par la tragédie. Notamment ceux qui ont participé à la grande chaîne de secours. Voilà pourquoi tous ont répondu à l’appel de Noël Smara, ambulancie­r niçois, dont l’initiative a reçu le soutien enthousias­te de l’associatio­n Promenade des Anges- juillet  (chacun finance toutefois son propre voyage). Le groupe est hétérogène, en termes d’âges et de conditions physiques. Mais il est soudé par un même objectif. Les  galets seront remis à ces marcheurs aujourd’hui à  heures à la villa Masséna où ils seront reçus par la Ville, en attendant le grand départ demain matin. Ces derniers mois, ils se sont entraînés dans le haut pays azuréen. C’est là que nous les avons suivis. L’avant-goût d’une aventure humaine hors normes. Saint-Isidore, 7 h 15 du matin. L’antichambr­e des vallées, à deux pas du boulevard du Mercantour. Ce samedi-là, l’équipe a rendezvous Chez Jeannette, pour faire le plein d’eau et de succulents pan bagnats. Sur le comptoir, le NiceMatin du jour titre « Nouvelle Prom’». Comme un clin d’oeil sur le long chemin de la résilience. À 9 h, le cortège de voitures traverse Saint-Martin-Vésubie, autre commune martyre. C’est ici que les villageois pleuraient, voilà bientôt trois ans, le guide Hervé Gourdel, assassiné en Kabylie par un groupuscul­e djihadiste. Sinistre souvenir. Mais c’est plus haut, au Boréon, que les marcheurs s’en vont cultiver leur devoir de mémoire. 9h20. Départ du parking du parc Alpha. «Direction le refuge de la Cougourde. C’est parti pour 2 h 30 de marche!», annonce Noël Smara. En chemin, le chef de cordée se prête aux interviews des médias présents, un voile d’émotion dans la voix. Muriel Rolle aussi. L’aînée de la bande marchera en mémoire de deux proches disparus. Elle est habituée à courir des marathons. Pas à gravir des monts qui culminent à plus de 6000 mètres. « La condition physique, ça va, sourit-elle. Je ne me suis pas fixée de limite. C’est le corps qui décide… Et la tête, car j’ai beaucoup de volonté ! D’autant qu’il y a un très bon état d’esprit au sein du groupe. »

« Ça donne la niaque »

Steeve Demana partage son constat, façon entraîneur de foot – «Le groupe vit bien». Mais il s’attend à ce que la partie soit autrement plus rude en Inde. « On sait que vivre un mois ensemble, c’est périlleux! Il y aura des moments difficiles. Il faudra apprendre à se supporter… En tout cas, on sait pourquoi on va là-bas: ça donne la niaque. » À l’ombre des grands pins ou sous le soleil de plomb, le groupe remonte le sentier, accompagné par la douce musique de la Vésubie qui s’écoule. Pause sur un pont. «Allez, photo de famille!» «Notre famille », acquiesce Anne Murris, en désignant les marcheurs. Mère endeuillée – sa fille, Camille, est décédée dans l’attentat –, Anne porte ce projet au nom de l’associatio­n Promenade des Anges. Avec son mari Philippe, elle est venue s’associer à l’entraîneme­nt. «Autour de moi, des gens qui ne voyaient pas l’utilité de ce projet ont changé leur regard », confie ce dernier. Le grand jour approche, les questions se font plus précises, plus pressantes autour de Noël. «Il faut s’habiller comment ? » « Il faut un sac de couchage?» «Comment c’est, le mal des montagnes ? » Noémie Violet, Niçoise de 31 ans, confie : «On sent la pression qui monte. En même temps, on commence à piaffer ! »

« Il y a encore du boulot »

Noémie était infirmière en service réanimatio­n, le 14 juillet. « C’était marquant, choquant. Ces patients-là ont eu une dimension particuliè­re pour nous.» D’où l’envie de gravir des cimes. Pour eux. «Dans notre entourage hospitalie­r, ce projet suscite beaucoup d’admiration. Nos collègues sont très touchés par les valeurs qu’il porte : bienveilla­nce, goût de l’effort, solidarité… S’entraîner, ça permet de souder le groupe. » Souder, soit. Mais côté coordinati­on, il reste du chemin à faire. Au moment d’arriver au refuge de la Cougourde, « Ludo » refait surface. Ce sportif aguerri s’était trompé de chemin. Il vient de s’offrir 300 m de dénivelé en rab. « Je croyais que vous vous inquiétiez. En fait, personne ne s’inquiète pour personne ! » Noël, dépité: «C’est pour ça qu’il faut rester groupés… » Pause pique-nique. Noël Smara, ton bienveilla­nt mais ferme, met en garde ses troupes. «Bravo mais… On n’a fait que 600 m de dénivelé positif. C’est de la rigolade! Là-bas, c’est 1600 m de dénivelé de nuit, un glacier à traverser, plus de 18 heures de marche… Il y a encore du boulot.» Lauren Kernel, Cagnoise de 32 ans, ambulanciè­re, reste confiante : «Là, on est chez nous, le chemin est balisé. Une fois là-bas, on sera plus encadrés et concentrés. » Pour l’heure, Benoit et Bertrand, les nouveaux inséparabl­es, laissent vagabonder leurs pensées en contemplan­t le sublime lac de Trécolpas. « Ce projet, il permet de revenir aux fondamenta­ux: vivre en paix, aider un collègue, partager de bons moments… En somme, une vie simple, sereine. Pas une vie comme ce qu’on voit en ce moment à la télé. »

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Noël Smara, ambulancie­r niçois, mène le bal dans la Vésubie, avant l’Himalaya. Arrivée au refuge de la Cougourde, après  h  de marche et quelques interviews.
 ??  ?? Entraîneme­nt collectif dans la Vésubie, à quelques jours du grand départ pour l’Inde. Un apéritif plutôt soft.
Entraîneme­nt collectif dans la Vésubie, à quelques jours du grand départ pour l’Inde. Un apéritif plutôt soft.

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