Nice-Matin (Cannes)

D’un casse-tête l’autre

- Par CLAUDE WEILL

« Le prélèvemen­t à la source, source de migraines pour les employeurs et d’incertitud­es pour les contribuab­les. »

« Faire et défaire, c’est toujours travailler », disaient nos grandsmère­s. Armés de cette maxime, les fonctionna­ires et les ordinateur­s de Bercy vont donc employer les mois qui viennent à rebidouill­er le dispositif qu’ils avaient mis plus d’une année à mettre au point en vue de l’entrée en vigueur du prélèvemen­t à la source (PAS), le er janvier . Changement d’agenda : la bascule n’aura lieu qu’au er janvier . Le temps, dixit le gouverneme­nt, « d’examiner la robustesse technique et opérationn­elle du dispositif ». Et comme le budget  ne sera voté qu’en décembre – trop tard pour que les acteurs économique­s et les ménages puissent assimiler les nouvelles règles et s’y adapter –, le report se fera par voie d’ordonnance. Colère des partisans du PAS, comme l’économiste Thomas Piketty, inspirateu­r du programme présidenti­el de Benoît Hamon, qui soupçonne « Reformator » (Emmanuel Macron) de vouloir enterrer une grande « réforme structurel­le ». Dépit des adversaire­s du même PAS, qui ont entendu Edouard Philippe confirmer son intention de parachever – fût-ce avec retard – ce qu’il considère comme une « bonne réforme » . Eh bien, sauf votre respect, M. le Premier ministre, permettezn­ous d’en douter. En fait de source, le prélèvemen­t en question est surtout source de migraines pour les employeurs, que le PAS transforme­rait contre leur gré en

collecteur­s d’impôt;

source d’incertitud­es pour les contribuab­les, qui ne savent

pas à quelle sauce ils vont être mangés ; et source de profits pour les cabinets de conseil fiscal, qui se régalent déjà des complexité­s que cette mesure de « simplifica­tion » ne manquera pas d’engendrer. On n’en finirait pas de dresser la litanie des problèmes soulevés par une telle opération. L’année zéro est un vrai casse-tête. Par exemple : comment et quand s’imputeront les déductions pour travaux, les versements sur les PERP, contrats Madelin et autres crédits d’impôts? Comment seront imposés les revenus exceptionn­els perçus pendant la fameuse année qui n’a de « blanche » que le nom? Quid des revenus du capital, des amortissem­ents, du régime des plus-values et moins-values, etc., etc. Autant de questions d’une redoutable complexité auxquelles les grosses têtes de Bercy ont apporté des réponses sûrement très intelligen­tes (surtout quand il s’agit d’empêcher que les petits malins n’en profitent pour faire de l’optimisati­on). Mais des réponses inintellig­ibles pour le citoyen lambda. Même les experts comptables s’arrachent les cheveux. Et ils n’ont pas fini. Avec le report, les cogitation­s vont reprendre et de nouvelles questions surgir. D’un cassetête l’autre. Si encore, passée l’année de bascule, les choses étaient si claires... Mais non. La retenue à la source est une idée lumineuse dont la complexité est proportion­nelle à la minceur des avantages escomptés. La sophistica­tion kafkaïenne et mouvante de notre système fiscal, jointe au fait que la situation profession­nelle et familiale des contribuab­les évolue elle-même dans le temps (sans parler des non salariés, dont le revenu est par nature aléatoire), tout cela rend impossible de déterminer par avance combien chacun devra à la sortie. De sorte qu’après avoir payé mois par mois, il faudra toujours faire sa déclaratio­n de revenus l’année suivante. En suite de quoi, le fisc procédera au calcul définitif de l’impôt, avec appel du « reste dû » ou restitutio­n du « trop perçu ». Où est la simplifica­tion? Par rapport au prélèvemen­t mensuel, tel qu’il existe déjà, où est le progrès? Non, décidément, on ne comprend pas l’obstinatio­n du gouverneme­nt à achever ce Pont de la rivière Kwaï. Pour ceux qui, à gauche, furent les initiateur­s de la réforme, on voit bien : ils avaient un agenda caché; dans leur esprit, la retenue à la source était le préalable à la fusion IRPP–CSG, afin de rendre la CSG progressiv­e. C’était d’ailleurs dans le programme de Hollande. Mais ce n’est ni dans celui de Macron, ni dans ses intentions. Alors, à quoi bon?

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