D’un casse-tête l’autre
« Le prélèvement à la source, source de migraines pour les employeurs et d’incertitudes pour les contribuables. »
« Faire et défaire, c’est toujours travailler », disaient nos grandsmères. Armés de cette maxime, les fonctionnaires et les ordinateurs de Bercy vont donc employer les mois qui viennent à rebidouiller le dispositif qu’ils avaient mis plus d’une année à mettre au point en vue de l’entrée en vigueur du prélèvement à la source (PAS), le er janvier . Changement d’agenda : la bascule n’aura lieu qu’au er janvier . Le temps, dixit le gouvernement, « d’examiner la robustesse technique et opérationnelle du dispositif ». Et comme le budget ne sera voté qu’en décembre – trop tard pour que les acteurs économiques et les ménages puissent assimiler les nouvelles règles et s’y adapter –, le report se fera par voie d’ordonnance. Colère des partisans du PAS, comme l’économiste Thomas Piketty, inspirateur du programme présidentiel de Benoît Hamon, qui soupçonne « Reformator » (Emmanuel Macron) de vouloir enterrer une grande « réforme structurelle ». Dépit des adversaires du même PAS, qui ont entendu Edouard Philippe confirmer son intention de parachever – fût-ce avec retard – ce qu’il considère comme une « bonne réforme » . Eh bien, sauf votre respect, M. le Premier ministre, permetteznous d’en douter. En fait de source, le prélèvement en question est surtout source de migraines pour les employeurs, que le PAS transformerait contre leur gré en
collecteurs d’impôt;
source d’incertitudes pour les contribuables, qui ne savent
pas à quelle sauce ils vont être mangés ; et source de profits pour les cabinets de conseil fiscal, qui se régalent déjà des complexités que cette mesure de « simplification » ne manquera pas d’engendrer. On n’en finirait pas de dresser la litanie des problèmes soulevés par une telle opération. L’année zéro est un vrai casse-tête. Par exemple : comment et quand s’imputeront les déductions pour travaux, les versements sur les PERP, contrats Madelin et autres crédits d’impôts? Comment seront imposés les revenus exceptionnels perçus pendant la fameuse année qui n’a de « blanche » que le nom? Quid des revenus du capital, des amortissements, du régime des plus-values et moins-values, etc., etc. Autant de questions d’une redoutable complexité auxquelles les grosses têtes de Bercy ont apporté des réponses sûrement très intelligentes (surtout quand il s’agit d’empêcher que les petits malins n’en profitent pour faire de l’optimisation). Mais des réponses inintelligibles pour le citoyen lambda. Même les experts comptables s’arrachent les cheveux. Et ils n’ont pas fini. Avec le report, les cogitations vont reprendre et de nouvelles questions surgir. D’un cassetête l’autre. Si encore, passée l’année de bascule, les choses étaient si claires... Mais non. La retenue à la source est une idée lumineuse dont la complexité est proportionnelle à la minceur des avantages escomptés. La sophistication kafkaïenne et mouvante de notre système fiscal, jointe au fait que la situation professionnelle et familiale des contribuables évolue elle-même dans le temps (sans parler des non salariés, dont le revenu est par nature aléatoire), tout cela rend impossible de déterminer par avance combien chacun devra à la sortie. De sorte qu’après avoir payé mois par mois, il faudra toujours faire sa déclaration de revenus l’année suivante. En suite de quoi, le fisc procédera au calcul définitif de l’impôt, avec appel du « reste dû » ou restitution du « trop perçu ». Où est la simplification? Par rapport au prélèvement mensuel, tel qu’il existe déjà, où est le progrès? Non, décidément, on ne comprend pas l’obstination du gouvernement à achever ce Pont de la rivière Kwaï. Pour ceux qui, à gauche, furent les initiateurs de la réforme, on voit bien : ils avaient un agenda caché; dans leur esprit, la retenue à la source était le préalable à la fusion IRPP–CSG, afin de rendre la CSG progressive. C’était d’ailleurs dans le programme de Hollande. Mais ce n’est ni dans celui de Macron, ni dans ses intentions. Alors, à quoi bon?