Vendredi
Dominique Schnapper qui fut la collègue de Simone Veil [photo AFP] au Conseil constitutionnel salue sa mémoire par ces mots : elle ne fut pas une politique mais une femme de convictions. Faut-il que nous soyons arrivés à un stade ultime de dévoiement de la vie publique pour qu’une personnalité aussi éminente prononce une phrase aussi insultante pour tous ceux qui ont choisi de se consacrer aux affaires de la France. Pour rendre hommage à Simone Veil, il faudrait en quelque sorte la laver de la politique comme si c’était une activité dégradante pour ceux et celles qui l’exercent. Eh bien non ! Simone Veil fut une femme politique et elle le revendiquait haut et fort. Elle était à la fois intransigeante sur les principes, ferme sur les objectifs et habile sur les stratégies. Intransigeante sur les principes, elle le fut chaque fois qu’il s’agissait de la dignité humaine, s’opposant à Giscard d’Estaing qui voulait imposer le retour forcé des Algériens dans leur pays, taclant Rocard et l’informatisation des fichiers des Renseignements généraux, condamnant Sarkozy pour l’instauration d’un ministère de l’Intégration et de l’Identité nationale. Elle fut une adversaire déterminée du Front national ne supportant pas ses compromissions avec ceux qui avaient collaboré avec les nazis. Simone Veil était également ferme sur les objectifs et il est sans doute dommage que l’aura qui entoure justement la loi sur l’IVG occulte son bilan de ministre de la Santé puis des Affaires sociales. Je pense en particulier à la revalorisation statutaire et financière de la profession d’infirmière, à la réhabilitation de l’Institut Pasteur ou à la restructuration hospitalière qui lui fit de nombreux ennemis chez les élus locaux, ce qui n’était pas fait pour l’impressionner. Mais elle savait aussi être habile pour arriver à ses fins. Son discours devant l’Assemblée nationale pour défendre le droit à l’avortement est un modèle du genre. Nulle revendication féministe qui eût hérissé l’aréopage masculin qui s’était arrogé le droit quasi exclusif de décider du sort des femmes, son propos n’argumente que sur de strictes considérations de santé publique qui convaincront la minorité de députés de droite nécessaire pour faire passer le texte avec les voix de la gauche. Ainsi toute sa vie, Simone Veil est restée fidèle à son camp sans ménager les critiques et les moqueries devant les lâchetés et les médiocrités de ses commis. L’entendre ainsi dresser avec une totale et lucide cruauté le portrait de François Bayrou – et de tant d’autres – était un délice dont je ne me lassais pas… Simone Veil est donc bien une femme politique loin de l’image iconique et quelque peu mièvre que les thuriféraires sont en train de dresser. Une survivante qui savait que la dureté est la condition de la résilience, une ministre dont les colères homériques étaient aussi célèbres que les attentions bienveillantes, une femme qui savait, comme nous toutes, que rien ne lui serait donné qu’elle n’ait ellemême conquis.