Rendez-vous en
Le chroniqueur aurait-il mauvais esprit? En entendant le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, présenter son ambitieux «Plan climat», il lui revenait à l’esprit cette plaisante anecdote (racontée par un témoin): dans les années , François Mitterrand avait le projet d’organiser un symposium international, réunissant les plus grands chercheurs, afin de réfléchir aux implications des découvertes scientifiques et technologiques à venir. Bref, de dessiner le monde de demain. Il s’en ouvrit à Ronald Reagan, qui lui fit en substance cette réponse: c’est une bonne idée, M. Mitterrand, mais je crois qu’il y a déjà eu une réunion de ce genre, entre les deux guerres. Et vous savez ce qu’ils n’ont pas vu venir? «Ça», dit le président des États-Unis. Et goguenard, joignant le geste à la parole, il sortit de sa poche… un stylo à bille.
Tout ça pour dire quoi? Que les objectifs mis en avant par le ministre afin de «décarbonner» la France sont éminemment souhaitables, puisqu’il s’agit à la fois de lutter contre le réchauffement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, et de diminuer notre dépendance énergétique en abaissant la consommation de produits fossiles. Mettre fin à la vente de véhicules diesel et essence (d’ici à ), refuser tout nouveau projet d’exploitation de pétrole et de gaz (d’ici ), ramener à % (d’ici ) la part du nucléaire dans la production d’électricité (même si le nucléaire, justement, émet très peu de CO), en finir (d’ici à ans) avec les « passoires thermiques » des maisons mal isolées: tout ça est bel et bon. Comme il est bon que la France, artisan et hôte de l’accord de Paris sur le climat, donne l’exemple. Là où un léger doute nous gagne (le même que nous éprouvions lorsqu’on nous disait que les chefs d’Etat avaient «décidé» de contenir le
réchauffement climatique en-dessous de deux degrés, comme on règle le thermostat du salon), c’est lorsqu’on prétend assigner à ces ambitions des échéances aussi précises que lointaines. Avouons-le, en entendant que la France devra atteindre la «neutralité carbone» d’ici , le chroniqueur se gratte le menton. C’est loin, … En réalité, les émissions de CO d’ici à ans, en France et dans le monde, dépendent d’une infinité de facteurs: démographiques, économiques, culturels, évolution des modes de vie, des échanges internationaux, des process industriels, des modes de transport, sans oublier les guerres, les aléas naturels, etc., sur lesquels les pouvoirs publics ont fort peu de prise. Elles dépendent surtout des mutations et ruptures technologiques à venir, sur lesquelles il est hasardeux de faire des pronostics. Et encore plus de bâtir des agendas. L’invention du smartphone (le stylo à bille des années )
a plus changé la vie des Terriens que mille décrets politico-administratifs, avec des incidences considérables (positives et négatives) sur l’environnement. Pour s’en tenir au cas de la voiture électrique, c’est sans doute l’avenir, mais… Encore faut-il ne pas perdre de vue qu’à l’heure actuelle, son bilan écologique est plus que mitigé: un véhicule % électrique ne rejette pas de CO dans l’air, mais il faut bien le recharger; il est au surplus très gourmand en ressources naturelles fragiles (le lithium, par exemple), et au stade de la fabrication, deux fois plus énergivore qu’un véhicule thermique. Donc, rendez-vous en . Si, à cette date, il a réussi à supplanter le diesel et l’essence, ce ne sera pas grâce aux subventions publiques promises par Nicolas Hulot (qui ne font que prolonger le bonus écologique issu du Grenelle de l’environnement), mais parce qu’on aura fait un bond en matière de fabrication et de retraitement des batteries. Le Hulot de n’y sera probablement pour rien. Et l’électrique, alors, chassera tout naturellement le thermique, comme la voiture a chassé la diligence. Cela s’appelle le progrès.