Nice-Matin (Cannes)

Qui pour s’atteler à la Prévention primaire: où le bât blesse

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« La prévention, c’est l’affaire de tous », martèle Emmanuel Ricard, délégué à la prévention et à la promotion des dépistages de la Ligue nationale contre le cancer. Une assertion à laquelle tout le monde adhère : la prévention doit mobiliser de très nombreux acteurs, les profession­nels de santé bien sûr, mais aussi les enseignant­s, les associatif­s… «Si on n’en fait pas assez aujourd’hui, en matière de prévention primaire (actions destinées à prévenir l’apparition de maladies, Ndlr) c’est peut-être parce qu’on n’a pas de résultats chiffrés précisémen­t », avance Thierry Pattou, président de la délégation  de la Mutualité française. Le Dr Isabelle Lerais, médecin coordonnat­eur en Ehpad (Établissem­ent d’hébergemen­t pour personnes âgées dépendante­s) du groupe Emera, pointe, elle, un problème très concret auquel est confronté le médecin généralist­e, en première ligne dans la prévention : « Quand on voit l’énergie et le temps qu’il faut consacrer à une consultati­on pour informer le patient, lui faire prendre conscience de la nécessité de changer ses habitudes, notamment hygiéno-diététique­s, tout cela au tarif de  euros, je comprends qu’il y en ait beaucoup qui se découragen­t. » Le patient, davantage acteur de la prévention ? « Le patient a aussi une expertise, insiste le Pr Christian Pradier (CHU de Nice). Or, la participat­ion citoyenne dans les programmes de prévention reste un enjeu en France. » Le Dr Fabien Rolland, pneumologu­e au centre hospitalie­r de Cannes, rebondit aussitôt en s’agaçant de la situation du tabac, imputable selon lui à un manque de communicat­ion autour des dangers. « Il constitue la première cause de mortalité évitable en France avec près de   décès par an. En comparaiso­n, les accidents sur la route représente­nt   décès par an. Or on en parle beaucoup plus. Il faut réellement insister auprès du public. Les gens n’ont pas assez conscience que le tabac tue et qu’il y a des programmes qui peuvent aider ceux qui veulent arrêter. » Autre fléau : l’obésité. « Aujourd’hui, il y a plus d’obèses que de personnes mal nourries dans le monde, estime le Pr Jean Mouiel (chirurgien bariatriqu­e, groupe SaintGeorg­e). La prévention primaire de l’obésité est un problème de santé publique qui demande une approche globale. » Un avis partagé par Emmanuel Ricard : « Pour faire de la prévention efficaceme­nt, il faut avoir une approche globale, s’intéresser au milieu dans lequel vivent les gens, leur habitat, le niveau d’activité physique, etc. Nous sommes un pays qui ne considère pas l’activité physique comme essentiell­e à la santé ! D’ailleurs en France, on établit plus de certificat médicaux d’inaptitude au sport que d’aptitude ! » « Nous avons des armées de soignants dans le champ du curatif, mais quid de la prévention ?, interroge Emmanuel Ricard (Ligue nationale contre le cancer). Nous manquons de moyens à la fois humains et financiers. » Le Dr Gérard Laporte, président de la CME et chef du départemen­t SSR/USLD de l’hôpital privé gériatriqu­e Les Sources, remarque lui aussi que l’on accuse le coup d’« un manque de volonté et d’un financemen­t insuffisan­t de la part de l’État. Peut-être la solution doit-elle venir des établissem­ents de santé et des médecins de ville…» « La prévention, c’est un investisse­ment en temps, en argent, complète Jean Brizon, directeur général adjoint du centre hospitalie­r de Cannes. Ça ne peut pas être abordé comme un acte classique, avec un remboursem­ent.» Qui, dès lors, pour payer ? « Si on veut intéresser les financeurs, il faut leur présenter des études d’impact, des évaluation­s des actions de prévention », propose Jean Brizon. « On sent bien qu’il y a aussi un problème de coordinati­on. Or, qui dit problème de coordinati­on, dit problème de financemen­t », débat Gérard Luccio, directeur général de l’IMS (Institut monégasque de médecine du sport). Antoine Cardone, représenta­nt de la Banque Populaire Méditerran­ée, se dit conscient du rôle que des entités telles que les banquiers et les assureurs ont à jouer, et des enjeux : « On fait beaucoup de curatif mais peu de préventif, c’est évident. A nous d’avoir des idées sur ce qui est à préconiser. » Mais au-delà du financemen­t, ce sont aussi les mentalités qu’il faut faire évoluer, et pas seulement celles des pouvoirs publics, comme le souligne Hervé Ferrand, directeur général de l’hôpital gériatriqu­e privé Les Sources : « Lorsque l’on fait de la prévention tertiaire (destinée, une fois que la maladie est installée, à éviter les complicati­ons ou les rechutes, Ndlr) le public concerné est généraleme­nt à l’écoute. Pour le reste, c’est plus compliqué. Je crois que les Français ont intégré le fait que le système de santé les soigne lorsqu’ils sont malades. Ils n’ont pas forcément envie de prévention, de changer leurs habitudes de vie. Pour faire évoluer les mentalités pour que chacun intègre cette démarche préventive, c’est dès l’école qu’il faut agir. »

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La prévention primaire donne des résultats, mais ils sont difficiles à mesurer. (Photo d’archives S. H.)

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