Récits de blessés
Le Dr Christophe Chambon, ostéopathe niçois, président du Symposium d’Ostéopathie de Nice, avait lancé l’opération « Soldarité Ostéo / ». Après l’attentat, ce réseau de professionnels s’est mobilisé pour traiter gratuitement, sur la durée et « dans les règles de l’art », des personnes «qui n’entraient pas dans le protocole de soins traditionnels ».
A qui ont bénéficié ces consultations gratuites ? Quel bilan tirez-vous de cette opération ?
Bilan. A plus de patients, pour près de consultations. Les deux tiers sont des femmes, la plupart ont entre et ans. Les trois maîtres symptômes étaient : troubles du sommeil, douleurs rachidiennes diffuses, gêne respiratoire.
Le but, c’était de réparer le corps pour soigner la tête ?
En quelque sorte. On a d’abord essayé de resynchroniser le corps, qui était devenu rigide, dur comme un planche de bois. Certains patients qui ont lutté pour leur survie disaient : “Je ne sens plus rien !” Ils étaient comme des cocottes-minute prêtes à exploser. Nous avons fait en sorte de lever certaines tensions physiques pour relâcher cette pression. Je me souviens d’une petite de ans arrivée complètement mutique à Lenval. On a “déverrouillé” ce blocage, elle a recommencé à parler et, ainsi, a pu intégrer un réseau de psys. Près de % des patients ont très rapidement retrouvé le sommeil, et les symptômes se sont estompés. La question est : est-ce que cela va durer ? On a noté une diminution des prises de psychotropes et d’antidépresseurs ; ce sont autant de petites victoires individuelles, même si nous avons peu de mérite. Nous allons publier une étude, et mettre en ligne un protocole de traitement, fruit de ce travail collectif. Il sera mis à la disposition de chacun, afin d’éviter toute récupération commerciale. Beaucoup de traitements peuvent être efficients ; la gravité de la situation devrait nous amener à voir la médecine un peu différemment.
Il ne faut pas tourner le dos à la Prom’. Elle aussi, c’est une victime. » Doucement, prudemment, Carolina Mondino déambule le long de la promenade des Anglais en chantier. Sans béquilles, cette fois-ci. « J’ai commencé à les lâcher trois mois et demi après “l’accident”. Grâce à beaucoup d’efforts..., souffle cette Niçoise de 69 ans originaire d’Argentine. La volonté, elle fait des miracles ! » Nous avions rencontré Carolina un mois, puis deux mois après « l’accident ». D’abord sur son lit d’hôpital, puis cramponnée à ses béquilles autant qu’à cette vie si fragile, et si précieuse. Un an après l’attentat, sa récupération est spectaculaire. En apparence du moins. Grièvement blessée par le camion, la joviale retraitée a perdu sa meilleure amie, Jacqueline Wurtlin. Et son sourire avec. « Le matin, c’est très douloureux de mettre un pied par terre. Il faut beaucoup de courage. Quand je me lève, on dirait un canard qui marche ! », s’exclame Carolina, avec son autodérision coutumière matinée d’accent latino. Depuis un an,
‘‘ psychologue, psychiatre, acupuncteur ou encore mésothérapeute peuplent son quotidien. « Je fais toujours de la rééducation. J’ai des douleurs presque 24 h/24, que j’essaie de dompter. La nuit, ça me réveille, selon ma position dans le lit. » Les douleurs se déplacent le long de son flanc droit, percuté sur la Prom’. Depuis mars, Carolina souffre de la maladie de Dupuytren – « une maladie peu connue, qui se réveille lors de traumatismes physiques et psychologiques ». Ses doigts tendent à se replier comme des serres d’oiseau. Surmontant la douleur et les coups de blues, Carolina a repris le yoga. « Mais j’arrive à faire à peine 10 % des exercices... Alors je les fais assise. En les imaginant. On a une vie avant, une vie après ; mais ce n’est pas le 14-Juillet qui va changer ma façon de vivre ! »
« Douleurs presque h/ » Pas question de se lamenter. Ne seraitce que pour une bonne raison, résumée par le père Gil Florini : « “Vous êtes vivante”. En trois mots, il a tout dit!» Vivante. Jacqueline n’a pas eu cette chance. Alors Carolina fait vivre son souvenir, chez elle, face à la photo de son amie. « J’allume des bougies. Je prie. Je lui parle. Je sens sa présence... » Souvent, Carolina retrouve la fille de Jacqueline, Natacha. Entre elles s’est noué « un lien très fort ». Il y a aussi « cette dame anglaise », Leslie, qui avait contacté Carolina sur son lit d’hôpital, émue par son histoire. « Depuis que je suis sortie, on se revoit souvent. Elle m’amène de petits gâteaux... Ça m’apporte beaucoup de réconfort. J’ai rencontré trois personnes, comme ça. » Ce réconfort, Carolina le trouve aussi auprès de son fils à Paris. Auprès de Silvia, cette nièce venue d’Argentine, avec qui Carolina sillonne l’Espagne ces jours-ci. Elle n’oublie pas les personnels médicaux et les secouristes : « Je n’ai pas de mot pour les remercier ! Eux aussi, ils ont souffert et sont traumatisés. » Aujourd’hui, Carolina sait « le danger partout ». La première fois qu’elle a repris le volant, un camion l’a heurtée par-derrière – « Pas de bol, hein ? » Le camion, elle l’a vu à la télé, aussi, encastré dans le marché de Noël de Berlin. « J’étais chez mon fils. Ils ont éteint la télé. Les gens autour de moi essaient de m’épargner... Mais quand je suis seule à la maison, je ne peux pas vivre dans l’ignorance. » Inquiète de l’évolution de la société, Carolina Mondino voit resurgir de vieux démons, qu’elle pensait avoir « enfoui au plus profond » des années 70 argentines. D’où la nécessité de parler, parler, et parler encore - «ça m’a permis de comprendre la vraie magnitude de l’événement. » Parler, elle le fait pour l’AFVT (Association française des victimes du terrorisme), auprès d’autres personnes en quête d’écoute. Elle est intervenue à Bruxelles, pour l’anniversaire de la Journée des victimes du terrorisme en Europe. « Mon malheur me permet de me rendre utile... » Alors Carolina exhorte les