Nice-Matin (Cannes)

Laurent Tillie : « Cette équipe me bluffe ! »

Laurent Tillie a remporté une deuxième Ligue mondiale en 3 ans avec l’équipe de France. Le Cagnois s’est confié au lendemain de son retour du Brésil sur une année riche en émotions

- PROPOS RECUEILLIS PAR LEANDRA IACONO

Laurent Tillie a beau sortir d’un vol de h entre le Brésil et la France, ne pas avoir dormi pendant h et avoir vécu un vrai tourbillon médiatique inhérent au nouvel exploit de son équipe, il vous appelle en s’excusant de ne pas vous avoir répondu plus tôt. Au lendemain de son retour chez lui, à Cagnes-surMer, pour  jours de repos bien mérités, le sélectionn­eur des Bleus, d’une simplicité à toute épreuve, a pris le temps d’évoquer avec nous cette année intense en émotions. De l’échec des Jeux et cette éliminatio­n au er tour à ce sacre en Ligue mondiale (le e en  ans), l’ex-entraîneur du RC Cannes est passé «des cauchemars» àun « rêve éveillé » qui le fait entrer encore un peu plus dans l’histoire du volley français.

Laurent, quels sont les sentiments qui prédominen­t après ce sacre?

C’est un rêve éveillé. On ne s’attendait pas à un tel résultat. Gagner deux fois en trois ans… Il y a beaucoup plus de satisfacti­on que pour la re victoire (en ). On s’était donné l’objectif de faire aussi bien et on a réussi. La joie est plus intense. Le faire une fois, c’était beau mais confirmer c’est encore plus fort. Ce n’est pas qu’un hasard.

Vous aimez dire que les planètes se sont alignées, ça a encore été le cas ?

Oui. Parce que nous avons été touchés par les blessures tout au long de la saison, mais les jeunes qui ont pris la place des absents ont été à la hauteur. On n’a pas voulu prendre de risques avec Nicolas Le Goff, mais Le Roux et Ngapeth sont revenus à temps. Si Earvin se blesse une semaine plus tard, il n’aurait pas pu jouer. Et même durant les matches, il y a eu des petits détails en notre faveur, des balles qui sont tombées au bon endroit. Ça n’avait pas été le cas aux Jeux.

Cette équipe arrive toujours à trouver le déclic mental pour renverser les situations mal embarquées…

Oui, je dis souvent que la force de ce collectif, c’est de croire en ses forces. Ils me bluffent. Contre les États-Unis, on est malmenés avec  balles de premier set contre nous, je fais rentrer deux joueurs du banc qui renversent la situation. Ce match a lancé notre compétitio­n. L’important, c’est de continuer à faire ce qu’on sait faire, la défense. C’est un coup de poker. Contre le Brésil en finale, on s’en sort grâce à quelques actions miraculeus­es. On minimise nos points faibles, le bloc par exemple et on ne lâche rien sur nos points forts. Quels sont vos mots dans les vestiaires avant la finale ? Ça a été un briefing assez court pour désamorcer un peu la pression. Les joueurs étaient déjà dans le match. Je leur ai surtout demandé de rester sur les valeurs qu’on avait montrées depuis le début de la compétitio­n. Je leur ai aussi dit que ce n’était pas une revanche, mais qu’on était en train de construire une autre histoire. Il fallait qu’on reste concentré sur notre jeu. Le ressentime­nt, ça crée de la frustratio­n, ce n’est pas un bon sentiment.

Earvin Ngapeth a encore été stratosphé­rique…

Il venait de vivre une saison très longue. Il était très fatigué, c’est sans doute pour ça qu’il s’est blessé (aux abdominaux). On voulait absolument qu’il soit avec nous pendant la préparatio­n pour qu’il se remette au mieux, mais on ne pensait pas qu’il reviendrai­t si vite à ce niveau. Il a entamé la phase finale à  % de ses moyens. C’est quelqu’un de tellement compétitif. L’adrénaline en phase finale l’a transcendé. Il a été extraordin­aire. C’est sans conteste l’un des meilleurs volleyeurs que j’ai vu dans ma carrière. C’est un leader.

Vous réalisez ce que vous avez accompli ?

Oui, on s’en est rendu compte tout de suite. C’est un véritable exploit. On élimine les USA, la Serbie, le Canada avant de battre le Brésil, chez lui, dans un stade de football de plus de   places. Je pense que c’est l’une des plus grandes performanc­es du volley français. Ça nous booste pour les JO de , on avait besoin de cet encouragem­ent.

Les JO vous ont permis de ne plus refaire les mêmes erreurs ?

Oui, on avait déjà connu l’échec au championna­t du monde en Pologne quand on termine au pied du podium en . Vous savez une équipe, c’est comme un arbre. Plus il est tortueux, plus il a souffert, et plus il grandit. On porte les stigmates de nos erreurs. On a évolué, le contexte aussi. Les joueurs aussi. Ils savent pourquoi ils sont ici et où on veut aller. Vous aviez confié que le début de saison vous donnait des cauchemars… C’est vrai. Après les Jeux, il y a eu une véritable dépression. Je me demandais comment on allait repartir. L’inconnu m’a fait peur. Les blessés s’accumulaie­nt, la motivation était difficile à aller chercher. En , certains joueurs n’avaient eu qu’une seule journée de repos entre la fin de leur championna­t et les échéances internatio­nales. Lors du premier jour de la préparatio­n, nous avons débriefé les Jeux, il fallait exorciser notre aventure, qu’on prenne conscience de ce qu’on avait raté. Je n’avais pas de reproches à leur faire, parce qu’ils avaient fait le job, mais les planètes ne s’étaient pas alignées. Certains joueurs ont confié qu’ils avaient été trop inconstant­s. Ça en a libéré beaucoup.

Et puis les résultats qui s’enchaînent vous font dire ‘’On va faire comme en ’’...

Oui, j’ai senti l’équipe tout de suite très concentrée. Les entraîneme­nts ont été très tôt de très bonne qualité. Les jeunes se sont intégrés très vite aussi. On a commencé à gagner et je leur ai dit : ‘’Pour la re fois, je vois l’équipe de France de  et de  ‘’. Quand on bat la Bulgarie à , je me dis ‘’ ce n’est pas nous, ce n’est pas possible’’. Quand on joue bien et qu’on gagne, on se dit que ça ne va pas durer. C’est ce que les gens disaient de nous en . Mais moi, j’étais sûr que si on se concentrai­t sur le jeu, on irait sur le podium. C’est le message que j’ai fait passer à mes joueurs.

Vous disiez que la team Yavbou avait un peu disparu, vous l’avez retrouvée ?

Je dirais qu’on a retrouvé l’esprit yavbou, sans le yav et sans le bou. L’équipe est dans la continuité sans être dans le copier-coller. Les gars ont retrouvé très rapidement un esprit de groupe. Avec le staff, on essaie d’amener une direction, ça prend ou ça ne prend pas. On est comme une famille.

Après les Jeux, entraîner Cannes vous avait permis de passer à autre chose. Là, ce sont les Bleus qui ont été une échappatoi­re après une saison un peu décevante…

Comme quoi, ça sert d’être polyvalent (rires)... Cannes m’a sorti du trou, m’a aidé à tourner la page. C’était une déception car sur la fin de la saison, on commençait vraiment à bien jouer. Je pensais qu’on se qualifiera­it pour la finale. Ce sont surtout les changement­s de projet qui font du bien à la tête. Mais là, je suis quand même très fatigué.

Le repos va être de courte durée puisqu’il y a les championna­ts d’Europe fin août...

On voudra défendre notre titre. La victoire va nous permettre de repartir plus facilement. Mais avec le staff, nous avons décidé de donner un peu plus de vacances aux joueurs. Ils étaient cuits. La ‘’prépa’’ débute le  juillet et durera  semaines. On mise sur la qualité plutôt que sur la quantité. En attendant, je vais vraiment me ressourcer, aller faire quelques baignades.

Vous vous attendiez à réussir aussi bien avec les Bleus ?

Pas du tout. J’avais peutêtre imaginé gagner un titre, mais pas développer une telle qualité de jeu. Elle est reconnue aujourd’hui dans le monde comme spécifique au volley français. Le plus gratifiant, c’est ça. Des entraîneur­s me félicitent parce que le jeu que l’on développe est joyeux, spectacula­ire et efficace. On a des ambitions quand on prend notre fonction bien sûr, mais on ne sait jamais jusqu’où on peut aller.

 ?? (Photo AFP) ?? Laurent Tillie guide ses joueurs lors de la finale de la Ligue Mondiale contre le Brésil (-).
(Photo AFP) Laurent Tillie guide ses joueurs lors de la finale de la Ligue Mondiale contre le Brésil (-).

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