Nice-Matin (Cannes)

«Je veux réussir à m’ouvrir de nouveau au bonheur»

Sonia Caléo-Darwiche est venue du Gabon avec ses trois filles assister à l’hommage. Une manière de faire vivre sa mère, sa soeur et son beau-frère fauchés par le terroriste

- AXELLE TRUQUET atruquet@nicematin.fr

Souad, 16 ans, et Emma, 13 ans, sont allongées sur le lit de l’appartemen­t. Complices, elles regardent des vidéos sur un smartphone en rigolant. Tableau banal de deux ados pleines de vie. Dans la pièce d’à côté, leur maman Sonia Caléo-Darwiche se livre, l’émotion étreint sa voix. Le contraste est saisissant. Le sourire des filles; la retenue de la mère. Elle pèse ses mots pour bien faire comprendre l’étendue de son chagrin. « Pourtant, je n’ai pas envie de devenir une grand-mère qui, dans 30 ans, va continuer à ressasser tout ça devant ses petits-enfants.» Tout ça, c’est son histoire. C’est la mort de sa mère Jocelyne, de sa soeur Odile et de son beau-frère Mathias dans l’attentat du 14-Juillet à Nice. Tout ça, c’est comment ses filles s’en sont sorties – Souad indemne et Emma miraculée malgré ses blessures. Tout ça, c’est la culpabilit­é qu’elle porte de ne pas avoir été présente ce soir-là – elle était partie en Bretagne avec son aînée, Dina, 18 ans. Tout ça, c’est l’enchaîneme­nt des faits qu’elle se repasse en boucle. Tout ça, c’est tout ce qu’il s’est passé depuis: le deuil, le chagrin, les nuits sans sommeil…

«Une évidence»

Aujourd’hui, Sonia, Dina, Souad et Emma participer­ont à l’hommage. «Une évidence», pour cette mère de famille meurtrie. «Nous n’aurions pas dû être à Nice en juillet dernier, ce n’était pas prévu, explique cette expatriée qui vit au Gabon avec son mari et ses filles. Mais à cause des tensions liées aux élections gabonaises, mon époux a préféré que je rentre en France avec les filles, le temps que le climat

‘‘ s’apaise. Nous passions donc l’été chez ma mère, qui vit dans le centrevill­e. C’est elle qui m’avait poussée à partir en Bretagne pour voir une amie d’enfance avec Dina. C’est elle qui m’avait pris les billets, du 13 au 18 juillet. Au début, je ne voulais pas, mais elle avait insisté… Finalement c’est elle qui m’a sauvée. C’est comme si elle m’avait épargnée en m’éloignant de la promenade des Anglais ce soir-là. Comme si elle s’était arrangée pour que je sois toujours là pour m’occuper de mes filles.» Un an après le drame, Sonia ressent un besoin irrépressi­ble de parler. Ça n’a pas toujours été le cas. «Dans les jours qui ont suivi le 14-Juillet, je ne voulais pas voir de journalist­es, j’avais beaucoup de colère en moi. Aujourd’hui, je n’en ai plus. Mais j’ai encore beaucoup de questions. Je lis la presse et regarde les émissions de télé qui parlent de l’attentat, des victimes, mais je coupe lorsqu’elles évoquent le terroriste. Ce monsieur a tué ma famille. Point. Il n’y a rien d’autre à savoir. J’ai lu le compte rendu d’enquête. Seule. Nous étions lui et moi face à face. Je n’ai pas déposé plainte, ça ne les fera pas revenir.»

Profiter de l’instant

Souad et Emma assistent à l’entretien, réalisé il y a quelques jours dans l’appartemen­t de leur grandmère, que Sonia a souhaité conserver. Elles échangent des regards entendus et finissent par lâcher: «Maman a du mal à tourner la page. Elle a été très forte juste après l’attentat tandis que nous, nous étions mal, nous allions voir les psychologu­es. Aujourd’hui, les choses se sont inversées. Nous ne voulons plus en parler, elle si. Elle avait besoin d’être là pour l’hommage. Nous, nous sommes jeunes, nous avons la vie devant nous. On ne peut pas s’arrêter sur ça.» Un avis que partage leur père. Lui ne sera pas présent à l’hommage. L’an dernier, il avait rejoint sa femme et ses filles à Nice dès qu’il a appris le drame. Mais il ne réagit pas de la même manière. «Jeune, il a connu des événements très douloureux. Il voit les choses différemme­nt, pense que ça ne sert à rien de ressasser le passé. Il a raison. Pourtant, lui aussi souffre. Parfois, la nuit, je l’entends pleurer dans son sommeil.» Emma, la cadette, est de nouveau sur pied après une longue rééducatio­n. Il y a quelques mois, en une phrase, elle a désamorcé une crise d’angoisse qui montait chez sa mère: «Maman, c’est une question de mental. Si j’ai pu survivre, tu le peux aussi.»

«Comme si j’allais les voir »

Sonia, pour l’instant, a encore besoin d’arpenter la Promenade. Elle montre l’endroit « où ils sont » ,où sont morts ses proches. « La ville a remis du goudron sur la chaussée, mais ça n’efface pas le sang qu’il y a en dessous. » Elle explique être attirée par la Prom’, de manière viscérale, « parce que j’ai l’impression qu’ils sont là. Quand j’y vais, c’est comme si j’allais les voir. Pour la cérémonie du 14 octobre dernier, je m’étais faite toute belle, comme si j’avais rendez-vous avec eux. » À l’inverse, elle ne parvient pas à aller se recueillir au cimetière, « parce que là-bas, c’est trop réel. » Alors qu’elle se raconte, Sonia caresse le métal d’un bracelet qui enserre son poignet. «Il appartenai­t à ma mère. Elle le portait lors du 14Juillet. Il

‘‘ était dans les effets personnels qu’on nous a rendus. Il était tout tordu, alors je l’ai fait réparer. Quand je l’ai, c’est un peu comme si ma mère était avec moi. » Jocelyne, Odile et Mathias peuplent les pensées de Sonia. «Au début, j’en voulais à mes parents de m’avoir laissée seule [son père est décédé il y a quelques années, Ndlr]. Lorsque je regardais leur photo, je leur disais :“Qu’est-ce que vous me faites?” Et à ma soeur Odile, je demandais pardon… J’éprouve un immense sentiment de culpabilit­é. Je me dis que si on n’avait pas été là, ils ne seraient pas allés au feu d’artifice. Et je culpabilis­e encore quand je pense à mon neveu. Lui a tout perdu. Moi, il me reste mes filles, mon mari… » Elle ne manque pas de remercier Sébastien. Cet inconnu qui avait tenu la main d’Emma, blessée, jusqu’à ce qu’elle soit secourue. « Je n’étais pas là, mais je sais qu’Emma n’était pas seule, grâce à lui.» Ils sont d’ailleurs restés en contact et espèrent se revoir ces jours-ci. La culpabilit­é empêche Sonia de rebondir. Mais elle sait ce qui peut l’aider: être présente aujourd’hui. Pour partager la peine et se sentir reconnue comme une proche de victimes. «Lorsque j’ai assisté à la cérémonie sur la colline du Château en octobre, j’avais besoin que le président de la République me voie, sache que je suis la fille de Jocelyne, la soeur d’Odile et la belle-soeur de Mathias. Au Vatican, c’était pareil, je voulais que le pape ressente ma douleur. Il a posé sa main sur ma tête, ça m’a apaisée.»

« Excusez-nous »

Cette cérémonie, un an après l’attentat, constitue une étape dans la reconstruc­tion de la famille. « Je n’aime pas ce mot “reconstruc­tion”, mais je n’en vois pas d’autre. Revenir un an plus tard, c’est nécessaire. J’ai besoin du miroir des familles des victimes. Chacun essaie de se reconstrui­re… » « C’est la ville de Nice qui a organisé notre voyage. C’était important pour moi. Ce n’est pas une question d’argent, mais c’est symbolique. C’est comme si elle nous disait: “Excuseznou­s, nous n’avons pas pu empêcher ce qu’il s’est passé, mais aujourd’hui, nous sommes là pour vous aider.”» Les expatriés ne manquent pas de souligner le soutien qu’ils ont reçu, de la part de la commune mais aussi des associatio­ns. Sonia a repris l’usage de son nom de jeune fille, Caléo, accolé à son nom d’épouse. Comme pour faire vivre les siens à travers elle. Ses filles la poussent à aller de l’avant. L’aînée, Dina, le bac tout juste en poche, va s’installer à Nice dès septembre pour entamer des études de médecine. Sonia, quant à elle, n’a plus peur pour ses filles – « Elles ont survécu à l’attentat, alors je n’ai plus à m’inquiéter.» Désormais, elle aspire à un peu d’apaisement : « Je ne veux plus que ces sentiments perdurent en moi, je veux réussir à m’ouvrir de nouveau au bonheur.»

 ?? (Photo Ludivine Tessier) ?? Sonia Caléo-Darwiche ressent le besoin de venir sur la promenade des Anglais pour « retrouver » sa mère Jocelyne, sa soeur Odile et son beau-frère Mathias, fauchés le  juillet .
(Photo Ludivine Tessier) Sonia Caléo-Darwiche ressent le besoin de venir sur la promenade des Anglais pour « retrouver » sa mère Jocelyne, sa soeur Odile et son beau-frère Mathias, fauchés le  juillet .

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