Nice-Matin (Cannes)

Nice, pour l’éternité

L’écrivain niçois Didier van Cauwelaert rend hommage à sa ville, « terre d’accueil et de liberté »

- DIDIER VAN CAUWELAERT

S« ’attaquer à Nice, ce n’est pas s’en prendre à une carte postale. C’est choisir comme cible une terre d’accueil et de liberté, un peuple qui, dès le début de son histoire, a donné l’exemple de la démocratie, du courage, de la résistance, de la mixité… et de l’art de vivre. S’attaquer à Nice un jour de Fête nationale, c’est rappeler, même si le tueur n’en avait pas conscience, que les Niçois décidèrent par plébiscite de se donner à la France, en 1860, par 25 743 oui contre 160 non. Alors, faire de la promenade des Anglais une scène de crime, ce n’est pas seulement s’en prendre à un paysage de rêve, de détente et d’harmonie en attente de classement au patrimoine mondial par l’Unesco. C’est vouloir le réduire, aux yeux

‘‘ du monde entier, au simple parcours d’un camion de la mort. Mais rien ni personne, ni les envahisseu­rs de jadis, ni les barbares intérieurs d’aujourd’hui, ne saurait souiller à jamais ce lieu d’inspiratio­n et de culture. Ce lieu qui, au-delà des plages et des palmiers, diffuse un rayonnemen­t de l’esprit que les plus grands artistes ont immortalis­é, du Centre universita­ire méditerran­éen fondé en 1933 par Paul Valéry, jusqu’à ce quai des ÉtatsUnis où, le 23 février 1887, Friedrich Nietzsche refusa d’interrompr­e l’écriture d’un chapitre, tandis que toute la ville se précipitai­t à l’extérieur pour échapper à un tremblemen­t de terre. Le maire de l’époque, François-Régis Malausséna, remercia l’écrivain pour cette prise de position, en déclarant que “les éléments se calment lorsqu’on résiste à l’affolement”. Méditons cet insolite principe de précaution, à une époque où nos souffrance­s, nos angoisses et nos colères, même légitimes, alimentent peut-être le dérèglemen­t de la planète. Le fou furieux qui, dans l’illusion de devenir quelqu’un en massacrant ses semblables, écrasa le 14 juillet 2016 tant d’enfants sur le sol de la Prom’, ignorait sans doute que la ville de Nice avait inventé, au XIIe siècle, d’amplifier la démocratie par le recours à l’enfance. Pour chaque fonction municipale, les Niçois devaient, en effet, élire plusieurs candidats, parmi lesquels le vainqueur était désigné au hasard par un enfant qui, les yeux bandés, plongeait sa main dans un sac d’où il tirait le nom d’un finaliste. Ainsi l’humilité, qualité qui manque souvent aux élus, naissait-elle de cette égalité aveugle, plus forte que toutes les stratégies électorale­s et les ambitions personnell­es. Les plus jeunes citoyens étaient les gardiens de la démocratie. Près d’un millénaire plus tard, dans cette même ville de Nice, l’innocence de l’enfance ne fut pour certains que de la chair à camion. Mais le devoir de mémoire va de pair avec le droit à l’avenir. A un avenir où les blessures se referment sans que l’oubli soit possible, un avenir où la vie continue en hommage à ceux qui l’ont perdue, où les enfants survivants nous montrent le chemin de la résilience et de l’espoir. En témoignent les centaines de textes d’écoliers et de collégiens envoyés depuis l’été dernier au concours d’écriture de nouvelles, que la ville de Nice organise chaque année. Sujet proposé, un mois avant le massacre de la baie des Anges: “L’aigle au-dessus de Nice”. Aussi la plupart de nos écrivains en herbe ont-ils associé à la tragédie du 14-Juillet la figure emblématiq­ue de Méfi, l’aigle symbole de l’OGC Nice. Voici un extrait de la nouvelle écrite par des élèves de l’école de la Digue des Français. Des élèves de CM2 : “C’est un soir de joie, de paix et de fête. Il est ébloui par la beauté de sa ville adorée qu’il protège de toutes ses forces. Lui, c’est l’aigle Méfi, et il est heureux de voir tout ce monde partager un moment de bonheur. Oui, mais voilà, le monstre arrive. Il a quatre humeurs : la colère, la haine, la folie et la mort. Les sourires ne l’ont pas vu arriver, et l’aigle non plus ne l’a pas vu venir. Il vole au-dessus du danger et il essaie de l’arrêter, mais il n’y parvient pas. “A l’aube, sa belle ville de Nice ressemble à un champ de bataille. Anéanti, l’aigle se donne une nouvelle mission : aider les habitants à guérir leurs blessures insurmonta­bles. “C’est pourquoi si, le soir, vous regardez le ciel au-dessus de Nice, vous nous verrez. Nous sommes 86 et nous formons une constellat­ion particuliè­re. Nous, les 86 étoiles que l’aigle Méfi a envoyées dans les cieux.” »

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