« Délit de solidarité, deux mots qu’il faut dissocier »
Les procès de citoyens qui viennent en aide aux migrants, notamment dans la Roya, ont inspiré un ouvrage collectif avec 26 auteurs. Entretien avec la journaliste Béatrice Vallaeys, qui l’a coordonné
Enki Bilal, Philippe Claudel, Nathalie Kuperman... Ils sont vingt-six, à la fois auteurs et citoyens indignés, à cosigner le livre Ce qu’ils font est juste. Un recueil de nouvelles, inspirées de ces bénévoles poursuivis par la justice pour être venus en aide aux migrants. Le phénomène concerne au premier chef la vallée de la Roya, évoquée à travers plusieurs récits. Entretien avec Béatrice Vallaeys, ex-journaliste à Libération, qui a coordonné cet ouvrage (1).
Quelle est l’idée de départ de cet ouvrage collectif ?
J’ai toujours aimé aborder les problèmes humains par la littérature. J’ai considéré que ce qui se passe dans la Roya, notamment, pouvait justifier un livre avec de grands écrivains. Tous ont été très enthousiastes à l’idée d’écrire sur le sujet.
Quelle feuille de route leur avez-vous soumise ?
Je leur ai dit : “Ne soyez pas dans le lamentatoire. N’ayez pas de pitié.” Car ce sentiment ne me semble pas respectable. Pour moi, ces gens qui en aident d’autres à ne pas mourir sont de vrais résistants. Et je ne peux pas comprendre qu’ils soient punis à cause d’une ordonnance de monstrueuse ! « Délit d’hospitalité », « délit de solidarité » : de tels mots ne peuvent être associés. D’où le terme “Juste”, qui renvoie à une idée très précise : les Juifs sauvés par des “Justes”.
« Résistants », « Justes »... Peut-on comp arer deux époques aussi différentes ?
Il y a un parallèle à faire entre les “étrangers”. J’ai échangé avec beaucoup d’historiens, qui m’ont expliqué l’origine de cette ordonnance. Dalladier l’a prise à une époque où des Juifs fuyaient le nazisme, et les Espagnols le franquisme. Beaucoup de gens les aidaient. Et il fallait punir ces “aidants”. L’’ordonnance n’est pas vychiste, mais elle a été copieusement utilisée pendant la guerre. En , le Conseil national de la résistance en a fait une loi. Contrairement à la légende, la France, patrie des Droits de l’Homme, n’est pas pour autant une terre d’asile !
Ce livre, c’est donc un cri d’alarme ?
Quand Cédric Herrou dit “Je fais ce que l’Etat ne fait pas” ,il a la vertu de dire les choses simplement. C’est à l’Etat d’éviter que des gens ne meurent ! A moment donné, cela devient un vrai problème humanitaire. De toute façon, ils passent. Soit on les empêche de mourir parce qu’on est humains ; soit on ferme les yeux et on les laisse mourir à notre porte. C’est une fausse idée de penser qu’empêcher ces gens d’aider va les dissuader de venir.
Mais les magistrats ne font qu’appliquer la loi, en la déclinant au cas par cas...
C’est pour cela qu’il faut supprimer les alinéas et de l’article de loi L-. Pour que seuls soient punis les passeurs qui, eux, s’en mettent plein les poches.
Ce livre ne risque-t-il pas de prêcher auprès d’un public acquis à ces idées ?
Le livre n’a pas une vocation militante, mais vocation à être lu dans les hautes sphères du pouvoir. Pour que la Commission européenne se rende compte qu’on ne peut pas laisser les choses en l’état. Emmanuel Macron lui-même a dit qu’accueillir des réfugiés était « notre droit et notre devoir »... L’idée, c’est de faire abroger la loi. C’est possible. Ça ne changera rien à la vie des Français. Et ça changera un peu la vie de ces étrangers...
(1) Ce qu’ils font est juste, aux Editions Don Quichotte. 336 pages, 18 euros.