François Musso, le résistant raconté par sa fille
Chaque lundi cet été, Nice-Matin publie le portrait d’un ancien habitant de Cannes, dont une rue ou un square porte le nom. Aujourd’hui, nous revenons sur l’histoire de François Musso.
« Quand les avions alliés passaient, il se mettait au balcon et les prenait à partie: ‘‘Mais quand est-ce que vous arrivez ?’» Dans le square qui porte le nom de son père, en haut de la rue du Suquet, Lucette Musso se souvient de son enfance, pendant la Seconde guerre. Et de son père François, un résistant et un commerçant fort apprécié au Suquet. François Musso, né en 1899 dans une famille de Lombardie, tenait depuis 1928 une boulangerie face au square qui prit son nom en 1965. La boutique était installée dans une ancienne chapelle confisquée à la Révolution (à la place de l’actuel restaurant indien et du coffee-shop).
Le bon boulanger
Le matin, il allait livrer son pain à la Croix des Gardes puis, vers 11 h, à la Californie. «Et de tout le quartier, les gens venaient réchauffer leurs plats dans son four. Il ouvrait même à Noël et les fidèles venaient acheter leur bûche, après la messe de minuit… » Surnommé le «maire du Suquet », il était une figure locale «adorée de tous». Lucette raconte qu’il aimait les enfants, qu’il glissait un billet aux jeunes qui partaient au service militaire… « Il leur disait : ‘‘tiens, ça te fera du bien” et il leur tapait sur l’épaule avec bienveillance. Une nonne me racontait comment il lui apprit la pâtisserie… Et aujourd’hui encore, plusieurs personnes me disent ‘‘c’est votre père qui m’a mariée.’’» Il n’avait «qu’un défaut» ,qui l’emporta trop tôt le jour de Noël 1960 : « il fumait trop ». Aujourd’hui, Lucette garde le souvenir d’«un homme droit, intransigeant sur la qualité de son chocolat comme dans ses affaires. » En charge du marché Saint-Pierre, il refusait d’y faire des achats pour éviter toute ambiguïté. « Et aussi droit dans son engagement dans la Résistance, dont il parla très peu toute sa vie », poursuit Lucette. Pendant la Seconde guerre, il résista dès le début de l’occupation allemande. Mais, doté d’un caractère joyeux et loquace, il ne s’en cachait peutêtre pas assez. De son four à pain, François Musso ne sortait pas que des baguettes. «Il était présent lors du débarquement d’armes à Agay, en mars 1943 », raconte sa fille. « Et il en a rapporté à Cannes pour les cacher dans le fournil. » Le bon boulanger du Suquet était un résistant de la première heure. Dès décembre 1940, il tracta, recruta pour la Résistance puis coordonna le réseau de Cannes. Il fit le lien avec le maquis de la région, ravitaillait ceux du Var et des Basses-Alpes, fournissait des faux papiers notamment à des juifs qu’il cachait, en attendant leur départ, à l’étage de sa boulangerie, «d’où l’on pouvait voir arriver la Gestapo… ».
Au chevet de Léon Noël
«Tout le monde était au courant dans le quartier. » Et cela faillit bien lui coûter. Le 21 septembre 1943, il manqua d’être arrêté lors d’une série de descentes à Cannes. Les Allemands bouclèrent le quartier; François Musso, averti par un gamin, eut le temps de s’échapper. «Réfugiés à Thorenc, où il devait justement nous rejoindre, nous avions entendu trois fois la veille, sur les ondes radio diffusées depuis Alger: ‘‘Attention à François le Boulanger’’...» Lucette Musso raconte qu’il était resté à Cannes pour vendre la boutique. Ce jour-là, il se réfugia au Val de Mougins, d’où il apprit qu’une descente venait d’avoir lieu chez le marchand de cycles Léon Noël. Il se rendit à son chevet, à l’hôpital de Cannes, dont il parvint à ressortir malgré les sentinelles. « Il avait mis une blouse blanche pour entrer. Et, après qu’il vit Léon Noël, le ventre ouvert, lui faire signe de partir, il prétendit aller s’acheter des cigarettes pour pouvoir sortir… » Il put venir embrasser sa famille à Thorenc avant d’aller se cacher à Nice, «en face de chez la Gestapo : ‘‘ils ne viendront pas me prendre ici !’’, disait-il.» Là, il agissait en liaison avec le maquis. Il faillit se faire prendre en assistant à la pendaison des résistants Torrin et Grassi sur les arcades, puis échappa une nouvelle fois aux Allemands à son retour vers Thorenc. Une rafle contre les juifs survint la même nuit que son escale près de Grasse, et la villa où il dormit fut la seule épargnée. À la Libération, il intégra le conseil municipal.