Nice-Matin (Cannes)

Pierre Pinoncelli: «J’ai pissé dans l’urinoir de Marcel Duchamp»

- FRANCK LECLERC

Bientôt nonagénair­e mais toujours iconoclast­e et révolution­naire. Issu d’une riche famille d’industriel­s de Saint-Étienne, parti à l’aventure dans l’Amérique des années cinquante, tombé sous le choc de la peinture de Frida Kahlo et Diego Rivera au musée de Mexico, il a préféré l’art aux affaires. Sa vie est une suite de performanc­es dont Pierre Pinoncelli fait l’inventaire à la galerie Ferrero à Nice.

En , vous tirez sur André Malraux avec un pistolet à eau…

J’avais d’abord rendu hommage à Yves Klein lors de sa rétrospect­ive à New York deux ans auparavant. En me peignant le visage en bleu. Malraux, j’ai décidé de m’y attaquer à l’inaugurati­on de musée Chagall de Nice. Pour moi, cet aventurier qui avait tout fait était devenu l’âme damnée de De Gaulle. En plus, il venait chez Chagall que je n’aimais pas beaucoup, n’ayant d’intérêt que pour ses débuts à Vitebsk. J’ai donc tiré sur Malraux avec un pistolet en plastique rempli de peinture rouge. Il me l’a arraché et m’a couvert de peinture, ce qui pour moi était une façon d’authentifi­er mon geste. J’ai été bousculé par la police et placé en garde à vue. On m’a laissé en liberté.

En , vous braquez une banque à Nice. Dans quel but?

Je voulais protester contre le jumelage avec Le Cap, en plein apartheid. Je suis allé à la Société Générale avec un canon scié. Butin: dix francs, soit un euro cinquante. Et j’ai risqué ma peau puisqu’un policier très énervé a sorti son revolver. C’était une façon d’attirer l’attention sur la cause. Même si j’étais content qu’on parle aussi de moi.

En , vous attaquez l’urinoir de Duchamp au marteau!

Je l’avais prévenu sans pouvoir passer à l’acte. J’ai réussi à l’ouverture du Carré d’Art de Nîmes. J’ai pissé dedans, puis j’ai frappé à coups de marteau. Pour m’ériger contre une reconnaiss­ance que rien ne peut justifier, puisque cette Fontaine n’est qu’un urinoir. J’ai recommencé en , lors de la grande exposition Dada au Centre Pompidou. Je l’ai payé cher: quatre jours de prison. Et je n’ai plus jamais été invité.

Et cette histoire de doigt coupé?

Une folie. J’avais été invité en  à un festival de performanc­es en Colombie. J’ai demandé un billot, une hache et du formol. Les organisate­urs ont dû se dire que ça commençait à sentir mauvais, mais on m’a donné ce que je voulais. Je me suis coupé un petit doigt en public et j’ai écrit sur le mur «À bas les Farc». C’était une façon de souligner les horreurs qui se passaient dans ce pays. Quand on m’a conduit à l’hôpital, je me suis rendu compte que ce que je m’étais fait, ce n’était rien du tout. J’y ai vu des gens brûlés, amputés, éventrés.

Tout ça pour quoi?

Pour rien. Pour le plaisir de l’avoir fait. Ma peinture ne s’est pas mieux vendue pour autant. Mais à l’âge où, normalemen­t, on est débile, dans une petite voiture, je me dis que c’est peut-être grâce à toutes ces performanc­es que je suis intact. Enfin… si l’on peut dire! Jusqu’au 24 août à la galerie Ferrero, 6 rue du Congrès à Nice. Tous les jours,de 14h30 à 18h30.Entrée libre.

 ?? (Photo F.L.) ?? Lors d’une autre performanc­e, l’artiste s’est coupé un doigt en signe de soutien à Ingrid Betancourt.
(Photo F.L.) Lors d’une autre performanc­e, l’artiste s’est coupé un doigt en signe de soutien à Ingrid Betancourt.

Newspapers in French

Newspapers from France