Nice-Matin (Cannes)

La Rambla sous le choc : « C’était le chaos »

- À BARCELONE GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

Un message d’un ami espagnol tombe sur mon téléphone. « Tu vas bien, dis-moi si tu vas bien. » Je sors juste du musée Picasso, avec ma famille. J’entends quelqu’un évoquer une attaque près de moi. Mon téléphone s’emballe, cela s’est produit moins de cinq minutes plus tôt. Nous sommes à quelques centaines de mètres. La confusion s’empare des quartiers environnan­t la Rambla Catalunya, haut lieu touristiqu­e par excellence. Pourtant, certains touristes n’ont pas compris et continuent à déambuler tranquille­ment devant nous. Progressiv­ement, l’info se propage. Des touristes se mettent à errer dans tous les sens. Certains tentent même, de manière inconsidér­ée, de rejoindre la Rambla. Déjà, des policiers barrent les rues. Je mets ma famille en sécurité et me rends au plus près. Devant moi, un groupe d’Espagnols est affolé. Leur ami a été percuté par le camion. Il est en vie, mais sévèrement touché. « Il vient de nous appeler », hurlent-ils à un policier qui tente de les arrêter. Un ruban de balisage a déjà été tendu pour barrer la rue.

« Mettez-vous à l’abri »

« Vous ne passerez pas », rétorquet-il. Il finit toutefois par emmener avec lui un membre du groupe qui

pourra rejoindre l’ambulance où son camarade est pris en charge. Main sur le pistolet, un autre policier se précipite vers nous. «Un ou deux hommes sont en fuite, reculez, mettez-vous à l’abri », hurle-t-il

en espagnol. Un homme surgit. Ses yeux traduisent l’horreur, la même que j’avais lue dans ceux des rescapés de l’attentat de Nice. «Je suis infirmier, j’étais sur la Rambla quand le conducteur du camion a attaqué», témoigne Albert, 41 ans. Cet Espagnol est infirmier : «Je n’ai pas vu l’attaque. Je me trouvais un peu plus loin. J’ai entendu les hurlements, puis le silence. Je me suis précipité. À terre, il y avait des corps partout. J’ai tenté un massage cardiaque sur un garçon, mais il n’y avait plus rien

à faire. » Albert s’arrête, sa voix tremble, comme ses mains. Il réalise seulement. « Autour de moi, j’ai vu huit ou neuf morts. C’était le chaos. »Un peu plus loin, c’est Ana Julia Calavia, une Espagnole de Saragosse, qui sort de l’enfer. De cette Rambla qui, quelques minutes plus tôt était bondée, entre vendeurs de perches à selfie, artistes de rue et jus de fruits vendus a l’étal.

« L’avant a touché ma jambe»

Elle porte un bandage sous le genou gauche. Son téléphone sonne. C’est en soi un exploit, le réseau est saturé par des dizaines de milliers de touristes tentant d’appeler leurs proches pour les rassurer, dans toutes les langues. Elle répond, semble soulagée, raccroche, esquisse un demi-sourire.

« Je m’en suis sortie, ma soeur aussi, je viens de l’avoir au téléphone, nous avons été séparées dans l’attaque. Nous descendion­s la Rambla : j’ai entendu des cris. Nous nous sommes retournées et j’ai vu le camion foncer sur moi. Je me suis jetée à

terre. L’avant a touché ma jambe. » Elle s’arrête, respire, ses yeux s’embuent de larmes, mais elle se force à sourire. « Je n’ai rien de cassé, je suis en vie, c’est un miracle. Malgré

la douleur, j’ai couru, couru. » Ana Julia était à Barcelone pour trouver un appartemen­t avant sa rentrée universita­ire. Quand je la laisse, elle cherche un moyen de se mettre à l’abri et de retrouver sa soeur. Autour de moi, c’est la confusion plus que la panique. Un hélicoptèr­e survole le quartier, nous sommes à deux cents mètres de la place Catalunya, les rues sont de plus en plus quadrillée­s par les policiers vêtus de jaune.

« J’ai peur pour mes enfants»

Des commerces ont baissé leurs stores sur leurs conseils, les clients sont restés à l’intérieur. À cette heure, on cherche un ou deux terroriste­s, mais les informatio­ns sont contradict­oires. Les sirènes hurlent désormais de partout, des ambulances quittent les lieux de l’attaque les unes derrière les autres. La vendeuse d’une bodeguita ,ces bars à tapas ouverts tard la nuit, est en larmes. « C’est l’horreur, c’est

l’horreur, pourquoi, pourquoi », sanglote-t-elle. J’ai croisé des dizaines de Français hagards. La capitale catalane est très prisée des touristes hexagonaux. « Nous sommes du nord-est de la France, témoigne Aline, 44 ans. J’ai peur pour mes enfants,

ils annoncent une prise d’otages. »Le couple repart aussi sec, deux ados en tenue de plage sur les talons. La mer n’est qu’à quelques centaines de mètres. Vers 20 heures, des clients sortaient encore des restaurant­s proches de la scène de l’attentat, escortés par des policiers. Vers 21 h 30, les abords de la place Catalunya s’étaient vidés. Seules les sirènes des véhicules de secours et de police emplissaie­nt l’air étouffant de Barcelone. Des dizaines de milliers de gens prenaient d’assaut des taxis débordés. Avec tous un point commun: ces regards que je connais trop bien depuis Paris, Nice. Ils mêlent horreur, peur, incompréhe­nsion. Hier, leurs vies ont basculé. Il y aura un avant. Un après. Sauf pour ceux qui gisent encore à cette heure sans vie sur la Rambla. Mon téléphone sonne. Un texto. C’est Mickael Coviaux, qui a perdu son fils de 4 ans sur la Promenade des Anglais le soir du 14 juillet 2016. Je l’ai interviewé à plusieurs reprises. « Je prie le bon Dieu pour qu’il n’y ait pas d’autres attaques. Lorsque j’entends ça, c’est comme si on tuait mon fils une deuxième fois. Courage.

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 ?? (Photos AFP) ?? Un cordon de sécurité a été mis en place très rapidement.
(Photos AFP) Un cordon de sécurité a été mis en place très rapidement.
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Très choqués, les témoins de la scène ont été réconforté­s et prises en charge.
 ??  ?? Très vite, les policiers ont verrouillé les abords du lieu de l’attaque. (Photos Grégory Leclerc)
Très vite, les policiers ont verrouillé les abords du lieu de l’attaque. (Photos Grégory Leclerc)
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La police s’est déployée sur un site particuliè­rement fréquenté en cette saison. (Photo DR)
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Un peu partout autour de la Rambla, les touristes tentent de s’informer ou de joindre leurs proches. Le métro est ferme. Ils sont désemparés.
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Ana Julieta Calavia,  ans, prend des nouvelles de sa soeur. Toutes deux sont vivantes : elle a éte touchée par le camion, mais elle va bien.

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