Dior et Chanel entichés des feuilles de violettes
Marcel Quentin, un des derniers cultivateurs de violettes de Tourrettes-sur-Loup, a procédé, en famille, au ramassage d’un trésor méconnu de cette fleur prisée par les parfumeurs, ses feuilles
Qui l’eut cru. On savait la fleur odorifère prisée des grands nez de la parfumerie française, mais saviez-vous que ses feuilles produisent également une absolue recherchée par les plus grandes maisons pour fixer le parfum ? En ces premiers jours de septembre, l’activité a repris sur l’exploitation horticole de Marcel Quentin à Tourrettes-sur-Loup, route de Vence. Car si les violettes se ramassent de novembre à mars, la fin de l’été est le temps du fauchage des feuilles de cette fleur, si chérie en cosmétique et qui a fait la réputation du village. « On fauche une première fois les feuilles au mois de mai. Ce nouveau fauchage entre fin août et début septembre, c’est un peu notre ballon d’oxygène, au niveau financier », explique l’horticulteur, qui cultive aussi la discrétion et n’aime pas trop se mettre en avant.
Deux tonnes nécessaires pour un kilo d’absolue
« Nous fauchons les feuilles au taille-haie. Puis les ballots sont entreposés dans des hangars où ils sont pesés », détaille simplement le professionnel, qui a repris l’exploitation familiale, avec son frère, Jean-François et ses deux soeurs, Véronique et MarieElisabeth. « Nous vendons notre production aux établissements Mane de Barsur-Loup [société de création d’arômes et de parfums fondée en 1871 par Victor Mane, ndlr] .La feuille est ensuite transformée par extraction. Elle participe à la création de parfums, en permettant de le fixer », révèle cet amoureux de la nature et de ses mystères. « Il faut deux tonnes de feuilles pour un kilo d’absolue. J’ai connu l’époque, dans les années soixantedix, où, à Tourrettes, il y avait 40 producteurs », rappelle-t-il. Aujourd’hui il en reste trois. « C’était 500 tonnes de feuilles qui partaient chez les parfumeurs. » On en est loin aujourd’hui. Combien de tonnes vont partir en ce mois de septembre de l’exploitation des Quentin ? Le producteur préfère garder le chiffre secret. Histoire de ne pas créer animosité ou jalousie ? Il n’en dira pas plus. Faute d’eau cet été et bien que les champs soient arrosés, la feuille risque de ne pas être très lourde. « Des étés chauds, c’est dans l’ordre des choses. Ce qui est grave c’est que l’on n’a pas eu assez de pluie cet hiver. La feuille a souffert », souligne Marcel. L’hectare et demi de champs de violettes a connu des jours meilleurs. Le créateur du lieu, René Quentin, le père de Marcel, a planté ses premières violettes au début des années 1960, mais depuis le monde a bien changé, les échanges commerciaux sont devenus mondiaux.
L’Égypte, le concurrent low cost
« Les parfumeurs achètent maintenant la violette en Égypte, où elle est trois fois moins chère. La feuille est transformée sur place et envoyée en France déjà concentrée. Mais la qualité n’a rien à voir. Seuls Chanel et Dior utilisent encore nos violettes, ainsi que la rose de mai de Grasse », illustre l’horticulteur. « Je me souviens de l’époque où la ville de Toulouse nous achetait 4,5 tonnes de fleurs pour la fabrication de ses bonbons. Maintenant, ils se servent en Égypte », lâche-til avec une pointe d’amertume, mêlée de fatalité. Et l’avenir ? « Je travaille avec ma soeur et mon frère. Notre exploitation est artisanale, car tout se fait à la main. C’est pénible comme travail. Aussi, c’est difficile de conseiller ce métier à un jeune. Pour s’en sortir, il faut soi-même transformer la violette pour la confiserie par exemple. Là ça marche bien. »