Une page se tourne à l’annonce du diagnostic
Identifier la pathologie derrière des troubles nécessite une série de tests et d’examens effectués au cours d’une consultation mémoire. Le Dr Cornée-Bertaud, gériatre, explique
Andrée, 83 ans, la démarche hésitante, est accompagnée par sa fille. Elle arrive à peine au centre de gérontologie de Saint-Raphaël. Elle a rendezvous pour une consultation mémoire. Ses proches s’inquiètent depuis quelques mois : ils ont l’impression qu’elle n’est plus tout à fait comme avant, qu’elle oublie des choses, ne sait plus en faire d’autres. Ils ont donc consulté son généraliste qui les a orientés vers cette structure. Qu’ils s’appellent Andrée, Jacqueline, Robert ou Fernand, les parcours de ces personnes âgées ont un point commun : un jour, ils font escale à cette consultation mémoire. Parce qu’euxmêmes ou leurs proches sont inquiets et surtout parce qu’il devient nécessaire de poser un diagnostic qui expliquerait une accumulation de faits a priori anecdotiques : changements d’humeur, oublis répétés, difficultés à se repérer dans l’espace et dans le temps...
De petites choses, mises bout à bout
Le Dr Sophie Cornée-Bertaud, gériatre, les rencontre dans la structure raphaëloise, à l’instar de ses consoeurs les Drs Anne-Marie Rigaud et Aurélie Augusti. Elle raconte comment se déroule le parcours « classique » d’un patient. « Souvent, les problèmes apparaissent vers 80 ans – mais cela peutêtre bien avant ou après – et c’est l’entourage qui les remarque. Il constate que la personne fait souvent répéter, a changé de caractère, se replie sur elle-même, est plus irritable, a des difficultés pour s’organiser... Ce sont des petites choses qui, mises bout à bout, posent question. Pour autant, celui qui est concerné n’a pas toujours conscience de tout cela ou bien, il est carrément dans le déni et considère que tout va bien. » À partir de ce moment-là, seul un professionnel de santé pourra identifier (ou non) une pathologie neurodégénérative au cours d’une consultation mémoire. « L’objectif est alors de dépister un éventuel trouble cognitif car plus tôt le diagnostic est posé, plus tôt la prise en charge peut être mise en place.» Et plus longtemps le malade aura de chances de préserver ses capacités. Le Dr Cornée-Bertaud remarque que dans la plupart des cas ; les patients viennent accompagnés, de leur conjoint, de leur enfant. Une présence qui peut aider le médecin à comprendre les changements qui se sont opérés au cours des derniers mois. « Lorsque l’on reçoit un patient, on commence par essayer d’analyser l’histoire de la maladie, les antécédents et surtout, on lui demande ce qu’il ressent (s’il a l’impression d’avoir des troubles), explique la gériatre. On recherche systématiquement deux éléments : des déficits sensoriels et une éventuelle dépression. Les explications de l’accompagnant permettent de mieux cerner la perte d’autonomie. Par exemple quelqu’un qui a toujours fait ses comptes et qui ne les fait plus, une bonne cuisinière qui a plus de mal à préparer un plat ou qui a besoin de revérifier la recette, ce sont autant d’indices. Ce sont justement ces éléments que peuvent raconter les proches. Pour résumer, nous, médecins, essayons d’avoir une vision globale de l’environnement y compris familial, social. C’est important, parce qu’à l’issue du bilan il faudra peut-être réajuster le plan d’aide du patient à domicile. »
Evaluer l’ensemble des fonctions intellectuelles
Après l’interrogatoire, place à la partie plus spécialisée de la consultation. « Elle consiste à proposer des exercices simples qui vont permettre de voir comment fonctionne le cerveau. On n’évalue pas seulement la mémoire mais l’ensemble des fonctions intellectuelles telles que l’orientation dans l’espace et dans le temps, les capacités d’organisation et de planification des tâches, l’attention et la concentration, le langage, la gestuelle, les savoirs : savoir faire, savoir être, savoir reconnaître, etc.» Cette évaluation globale des fonctions intellectuelles s’appuie sur les tests standardisés. Parmi eux, figure le MMS (Mini Mental State ou test de Folstein) : un test pour mesurer les troubles cognitifs, les « 5 mots de Dubois » pour jauger la mémoire, etc. Le test de l’horloge permet de dépister les troubles de l’organisation et de la planification des tâches. Il consiste pour le patient à tracer un cadran, placer les chiffres et dessiner l’heure que le médecin lui demande. Dans le test de Boston, il doit décrire des images qu’on lui présente. Cela peut mettre en lumière un problème de reconnaissance ou la difficulté à se souvenir du mot lié à l’objet. « Tout au long de la consultation, le médecin adopte une posture d’observateur. Le comportement de la personne, sa gestuelle, ses réactions, toutes ses attitudes donnent des informations supplémentaires », confie le Dr Cornée-Bertaud. À l’issue de la consultation, l’ensemble de l’équipe de la consultation mémoire se réunit pour discuter de chaque cas afin d’établir un diagnostic.
Expliquer la maladie
Dans de rares cas, le médecin constate qu’il n’y a pas de pathologie neurodégénérative. Il peut s’agir de personnes présentant un profil psychiatrique (dépression, hypocondrie, etc.) ou « simplement » de grands anxieux. À l’inverse, « lorsque le résultat laisse suspecter une pathologie neurodégénérative cognitive débutante, on demande une IRM cérébrale sans injection et un bilan neuropsychologique», indique le Dr Cornée-Bertaud. Ce dernier est réalisé par la neuropsychologue du service, Nadia Genty (qui a également compétence pour réaliser ceux demandés par les praticiens libéraux). À l’aune de l’ensemble de ces données, les médecins reçoivent le patient pour une consultation post-bilan. Moment particulièrement complexe au cours duquel ils doivent annoncer le diagnostic au patient et à ses proches. « Même avec l’expérience, cela reste un moment compliqué. L’évocation de la maladie d’Alzheimer fait peur, au malade comme à son entourage, alors il est nécessaire de prendre le temps d’expliquer, confie la gériatre. Il faut choisir les mots pour ne pas effrayer tout en ne cachant pas la réalité des choses. Dans le même temps, nous proposons, le cas échéant, un traitement médicamenteux. Il est aussi possible de faire intervenir une ESA – Équipe spécialisée Alzheimer – à domicile, sur prescription du médecin. Elle va aider le patient à travailler et évaluera s’il y a besoin d’un renfort et de la mise en place d’une aide à domicile.» La personne est donc prise en charge immédiatement. Impossible de laisser les familles repartir sans accompagnement. S’ouvre alors pour elles un nouveau chapitre, la découverte d’une pathologie et tout ce qu’il va falloir modifier dans leurs habitudes. Pour cela, elles pourront s’appuyer sur le corps médical, mais aussi sur les associations.
Etablir précisément le diagnostic pour adapter la prise en charge