Nice-Matin (Cannes)

Faire confiance au patient Soins « Je ne m’ennuie jamais ici » Le stress, ennemi intime de la maladie

L’associatio­n France Alzheimer 06 reçoit chaque jour une vingtaine de personnes à l’accueil de jour installé dans l’Institut Claude-Pompidou. Elle nous a ouvert ses portes

- AXELLE TRUQUET atruquet@nicematin.fr

Bonjour Rita. Je m’appelle Axelle, je suis journalist­e. Vous voulez bien discuter avec moi ? » « Oh mais bien sûr, j’en serai ravie ! » Rita, a 85 ans. Cette arrière-grand-mère fréquente depuis plusieurs années l’accueil de jour de France Alzheimer 06 (situé désormais au sein de l’Institut Claude-Pompidou). Elle est ravie de papoter, juste avant le déjeuner. Ce matin, c’était atelier découverte du goût. « Il fallait reconnaîtr­e des saveurs les yeux bandés. Et bien, croyez-moi, ce n’est pas si facile que ça ! » s’amuse Rita. Comme elle était prévenue que quelqu’un viendrait lui parler, elle s’était préparée. Malgré sa facilité à mener la conversati­on, la coquette dame se perd parfois un peu dans ce qu’elle raconte. Les autres demi-pensionnai­res de l’accueil de jour (en principe ils déjeunent sur place tous ensemble) ne sont pas tous aussi volubiles. Parmi eux, il y a Charly. Ce drôle de bonhomme, lunettes noires et chapeau vissé sur la tête a décidé de nous suivre dans notre visite. Et commente. « Tiens, c’est drôle, on a tous les yeux bleux. Vous, Nathalie [Auffret, la directrice de l’associatio­n France Alzheimer qui gère les lieux, ndlr] et moi », constate-t-il en levant la monture pour laisser voir son regard azur. Il nous dévisage attentivem­ent. Lui, fait partie des nouveaux. Il est supposé participer à un atelier où il confection­ne des coquelicot­s en papier crépon mais visiblemen­t, il en a décidé autrement. Les encadrants le laissent faire en le surveillan­t du coin de l’oeil. « On ne s’adresse pas à un patient comme on s’adresserai­t à n’importe qui, confie Mathilde Mauvilly, psychologu­e depuis une douzaine d’années au sein de la structure. Il ne faut pas se montrer frontal. Par exemple : inutile de demander ‘‘Qu’avez-vous Lorsqu’un nouveau patient rejoint l’accueil de jour, la psychologu­e de la structure Mathilde Mauvilly le reçoit pour dresser un bilan. « Cela nous permet d’avoir une idée de l’évolution de la maladie, s’il y a stagnation ou une améliorati­on au fil des mois ou des années.» Ensuite, cette personne doit trouver sa place au sein du groupe et retrouver sa propre identité. L’intégratio­n peut durer une semaine, deux, voire plusieurs mois. «Le travail est autant réalisé en individuel que face au groupe. Pour autant, nous ne formons pas au hasard les équipes pour les activités. Outre les questions d’affinités, certains patients performant­s ne peuvent pas être mis avec ceux qui sont très déficitair­es.» Le risque : qu’ils soient entraînés vers le bas au lieu d’être stimulés. Le personnel qui intervient à l’accueil de jour fait un point chaque semaine. « Nous nous parlons, nous échangeons. Ici, tout peut arriver à chaque instant. Si un patient est mangé ce midi ?’’ La question risque de le mettre en difficulté. Mieux vaut dire ‘‘Ce midi, j’ai mangé du poisson avec du riz’’ et laisser se poursuivre la conversati­on. C’est alors que la personne pourra se rappeler ce qu’elle a mangé. En résumé, il faut éviter toutes les situations de stress.» C’est la raison pour laquelle Nathalie Auffret laisse Charly nous emboîter le pas.

Précieux temps

Pour communique­r avec un malade d’Alzheimer, il est nécessaire de posséder une mal, cela peut rejaillir sur l’ensemble du groupe.» Alors parfois, celui qui devient nerveux, s’agite et s’agace est pris en charge par un encadrant, seul, le temps qu’il aille mieux. Par exemple, le kiné l’emmène faire une petite promenade pour le calmer et éviter de perturber les autres. Car les choses vont chose oh combien précieuse : du temps. Car il va à son rythme. À l’instar de Charly qui se balade. Son coquelicot ne sera pas fini ce jour-là. Ce sera pour plus tard. Quand il sera plus concentré. « Cette notion de temps est primordial­e , assène Nathalie Auffret. Et il faut toujours innover dans la prise en charge ! Ce qui fonctionne un jour, peut ne pas marcher le lendemain. Et ce qui convient à l’un n’ira pas nécessaire­ment à l’autre. Car la maladie ne se manifeste pas de la même manière chez tous. C’est un malade = très vite avec les malades d’Alzheimer. Alors il faut être réactif. Le stress vient chambouler les patients. Une situation, une phrase un peu trop brutale ou inattendue peut les déstabilis­er complèteme­nt. Pour ne pas les mettre en échec, et ne pas les braquer, il faut donc ruser sans les infantilis­er. « Il Rita a ses petites habitudes : le matin, on vient la chercher pour l’emmener à l’Institut ClaudePomp­idou. Et on la ramène chez elle en fin de journée. « J’habite un grand appartemen­t à Pasteur depuis des années. C’est là qu’ont grandi mes enfants. J’ai dix petits-enfants. Ils sont tous dans la région : à Nice, à Marseille. Pendant les vacances, je suis allée chez ma fille à La Croix-Valmer. Elle a une jolie maison avec une piscine. J’adore l’eau : je m’assois au bord et je fais tremper mes pieds. J’aime la mer aussi mais je reste au bord car je ne sais pas nager alors j’ai un peu peur. » Rita, «néeen!» , est bien entourée. Ses proches ont su appréhende­r la maladie, ce qui n’est pas toujours évident. Elle fréquente l’accueil de jour de France Alzheimer depuis des années, ce qui lui a permis de maintenir ses capacités. « J’aime venir ici. J’y suis mieux que chez moi. On ne s’ennuie pas, on participe à plein d’activités. Et puis, on mange bien. Ça m’arrange parce que franchemen­t – Rita se penche et chuchote : – je n’aime pas faire la cuisine ! » Au moment de prendre la photo, la jolie retraitée nous adresse son plus beau sourire... Et rend presque jaloux Charly qui se demande pourquoi elle, elle a le droit de se faire tirer le portrait alors que lui a de si jolis yeux bleus.

une maladie. Cela demande donc des capacités d’adaptation importante­s de la part des soignants et des aidants. » À l’accueil de jour, les activités s’organisent par petits groupes. Telle une fourmilièr­e, on s’active de tous les côtés dans une apparente sérénité. Apparente seulement y a beaucoup de choses qu’ils sont encore capables de faire. Il faut éviter justement de les faire à leur place, constate Mathilde Mauvilly. Car s’ils ne font plus l’effort, ils finiront par ne plus y arriver. Par exemple, à table, même s’ils ont un peu de difficulté, il faut les laisser manger seuls. Ils vont probableme­nt se salir, faire tomber de la nourriture. Qu’importe, ce n’est pas grave. Il faut essayer de maintenir coûte que coûte les compétence­s. » Le mot d’ordre est d’être positif. « Le “non” et le “ne pas” n’existent pas, assure Mathilde Mauvilly. On mise sur les capacités qu’il leur reste, pas sur celles qu’ils ont perdues. On part du principe que l’apprentiss­age est possible.»

Retentisse­ment psychologi­que sur les familles

Si les équipes encadrante­s soignent les pensionnai­res, elles doivent aussi composer avec les familles et les difficulté­s qu’elles peuvent rencontrer.

car les encadrants sont toujours sur le qui-vive. Tantôt c’est Charly qu’il faut ramener auprès de ses coquelicot­s, tantôt c’est une dame qui a besoin de prendre un peu l’air... Bref, ils ne s’ennuient pas ! Pour elles, les choses sont complexes et ce, dès le début. «Le diagnostic est anxiogène, constate Nathalie Auffret, directrice de FA 06. Surtout pour les enfants. D’ailleurs, c’est souvent en partant des locaux de l’associatio­n, à la porte, qu’ils demandent si c’est héréditair­e...» France Alzheimer intervient auprès des aidants car eux aussi sont plongés au coeur de la maladie. Ils ont besoin d’un soutien, notamment psychologi­que, pour trouver leur place et parfois accepter qu’eux aussi sont en souffrance à cause de l’épuisement, d’une santé fragilisée... Les encadrants de l’accueil de jour dialoguent constammen­t avec les familles. Et les conseillen­t inlassable­ment. Car il arrive que les patients parviennen­t à faire des choses à l’accueil de jour qu’ils ne font pas chez eux. Cela ne signifie en aucun cas que les proches s’en occupent moins bien. Le contexte est tout simplement différent.

 ??  ?? Plus les patients sont stimulés, plus ils se maintienne­nt. Tous les prétextes sont bons : exercices physiques, activités manuelles, etc. (Photos Franz Chavaroche) Même une situation banale peut devenir difficile pour un patient lorsqu’il est déstabilis­é.
Plus les patients sont stimulés, plus ils se maintienne­nt. Tous les prétextes sont bons : exercices physiques, activités manuelles, etc. (Photos Franz Chavaroche) Même une situation banale peut devenir difficile pour un patient lorsqu’il est déstabilis­é.

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