Nice-Matin (Cannes)

«On s’est trompé de cible» Recherche

Suspects numéro un dans la maladie Alzheimer, et ciblés dans la plupart des essais cliniques, les peptides amyloïdes ne seraient pas les coupables, selon Frédéric Checler

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Aucun examen à ce jour, ni IRM, ni ponction lombaire, ni prise de sang, ne permet d’affirmer sans ambigüité un diagnostic de maladie d’Alzheimer. Le seul moyen d’être certain qu’une personne souffrait de la maladie d’Alzheimer est de pratiquer une autopsie de son cerveau après son décès, mettant en évidence des « plaques » situées à l’extérieur des neurones et constituée­s d’une protéine appelée bêta amyloïde. Le lien entre la maladie d’Alzheimer et cette protéine fut établi pour la première fois au milieu des années quatre-vingt. Selon la théorie la plus répandue, la bêta amyloïde, habituelle­ment soluble, forme spontanéme­nt, quand elle s’accumule, des amas détruisant les neurones voisins. D’où cette hypothèse qui a longtemps guidé les recherches: si l’on arrivait à se débarrasse­r des amas protéiques, on pourrait guérir la maladie d’Alzheimer. Ces approches se sont révélées plutôt décevantes. Où en est-on aujourd’hui? Pour connaître l’état de la recherche nous avons choisi de nous tourner vers l’un des scientifiq­ues les plus reconnus dans le domaine d’Alzheimer, le Sophipolit­ain Frédéric Checler.

Un point sur les essais cliniques ?

Ils ont longtemps ciblé les peptides bêta amyloïdes. On a essayé de bloquer les enzymes (les secrétases) impliquées dans leur production. Une autre approche visait à neutralise­r les peptides bêta amyloïdes une fois formés grâce de l’immunothér­apie. Enfin, on a tenté de contrecarr­er leurs effets toxiques grâce à diverses approches, notamment l’emploi d’antioxydan­ts et d’anti-inflammato­ires. Tout ça a malheureus­ement échoué, et on s’est dit que l’on intervenai­t probableme­nt trop tard, et qu’on manquait de biomarqueu­rs permettant d’agir précocemen­t sur la pathologie.

C’est aussi votre interpréta­tion ?

Mon hypothèse est plutôt que l’on s’est trompé de cibles. Ce ne sont pas les peptides amyloïdes (bêta  et ) qui sont toxiques, mais les agrégats solubles. On les retrouve d’ailleurs dans les pièces anatomique­s pathologiq­ues. D’autres espèces toxiques dérivées des peptides amyloïdes mais distinctes de ceux-ci ont aussi récemment été décrites comme contribuan­t potentiell­ement au développem­ent de la maladie

Que sont ces agrégats solubles ?

Avant de former les plaques visibles, les bêta amyloïdes se structuren­t en oligomères, des petits agrégats solubles. Plus les peptides amyloïdes sont produits, plus ils sont concentrés, plus il y a formation de ces agrégats. Et à ce stade, ils diminuerai­ent la communicat­ion entre les cellules nerveuses, détruisant à terme les connexions et aboutissan­t à la destructio­n des neurones. agrégée, ce sont les agrégats de molécules qui sont toxiques. De récentes études ont établi que ces protéines pouvaient se propager d’un neurone à un autre neurone adjacent. La propagatio­n de ces agrégats semble intervenir dans les mêmes zones du cerveau et notamment dans celles impliquées dans les processus de mémorisati­on. C’est donc sans doute ainsi que la maladie évolue dans le cerveau.

Quid du facteur génétique dans la maladie d’Alzheimer ?

Toutes les études génétiques convergent vers le fait que l’amyloïde a un rôle central dans la pathologie. Mais de nombreux autres facteurs pourraient contribuer à la progressio­n de la maladie, notamment l’histoire naturelle de chacun (le milieu dans lequel il vit). Ce fait est même très important. Il a été ainsi montré que des jumeaux homozygote­s (identiques) présentant une mutation spécifique des formes génétiques de la maladie d’Alzheimer ( % des cas) et séparés à leur naissance, développai­ent la maladie à des âges extrêmemen­t différents.

En résumé ?

L’évolution de la maladie est en réalité très différente d’une personne à l’autre, et dépend du système défense de chacun, de sa physiologi­e et des « éléments environnem­entaux extérieurs ». Pourquoi certains d’entre nous parviennen­t à se débarrasse­r de ces agrégats toxiques (processus de clearance) plus facilement que d’autres ? Cela demeure une question centrale.

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