Nice-Matin (Cannes)

Le frère aîné de Mohammed Merah se confie

Abdelghani Merah, frère aîné du tueur au scooter, combat cette radicalisa­tion qui a endoctriné sa famille. Alors que s’ouvre le procès de son frère Abdelkader, il se livre à Nice, où il s’est établi

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

chaque fois qu’il évoque l’un de ses frères, il prend soin d’ajouter « Merah » à son prénom. Comme une nécessaire mise à distance, un rempart contre cette famille dont il porte le nom tel un fardeau. Abdelghani Merah, lui, milite contre la radicalisa­tion. Il a porté ce combat l’hiver dernier lors d’une marche de mille kilomètres, et aujourd’hui encore dans les médias. Alors des passants viennent l’interpelle­r, voire le féliciter lors de notre interview, à Nice, en terrasse près de la place Masséna. « Je n’aimais pas

confie-t-il, gêné.

2012, plus précisémen­t mars 2012. Ce mois charnière où les tueries de Toulouse et Montauban ont fait basculer la France dans une nouvelle ère terroriste. Ce lundi, le procès Merah s’est ouvert devant la cour d’assises spéciale de Paris (lire ci-contre). Abdelkader Merah, frère de Mohammed, répond avec un autre accusé de complicité de crimes terroriste­s. Abdelghani sera cité en tant que témoin. À 40 ans, il est le paria d’une famille qu’il a fui bien avant 2012. Aujourd’hui établi à Nice, il évoque pour Nice-Matin l’affaire qui a changé sa vie et tant d’autres.

Dans quel état d’esprit êtes-vous, alors que s’ouvre le procès ?

J’ai une boule au ventre. Malgré tout, j’ai hâte d’y être. Je veux que justice soit faite pour la mémoire des victimes, des militaires, des enfants. Je ne comprends pas que Mohammed Merah ait pu tuer des enfants... Devant moi, plus d’une fois, il a déjugé ces terroriste­s qui s’en prenaient aux enfants. Je suis sûr que quelqu’un l’a téléguidé.

Qui, selon vous ?

Vous verrez lors du jugement. Je peux juste dire qu’Abdelkader Merah, Mohammed Merah et toute cette bande – Olivier Corel, Fabien Clain, Sabri Essid... – étaient complices idéologiqu­ement.

Savez-vous ce que vous direz à votre frère Abdelkader Merah ?

Oui, j’ai plusieurs questions à lui poser. Je les garde pour la justice. Même si je ne crois guère qu’il me répondra, je sais que ma parole sera écoutée. Je veux lancer un dernier appel aux Français, leur dire : “Arrêtez d’être complaisan­ts avec ces gens ! Ce ne sont pas des musulmans, ce n’est pas l’islam !” Je veux aussi dire aux musulmans: “Vous n’en avez pas marre que l’on pervertiss­e votre religion ? Pas marre d’être montrés du doigt ?” Aujourd’hui, je comprends les Français qui ont peur de cette doctrine. Moi-même, j’en ai peur. Vous-même avez été victime de l’intoléranc­e d’Abdelkader... Abdelkader Merah m’a poignardé en , à sept reprises, à cause des origines juives de la mère de mon fils. Cet antisémiti­sme s’est renforcé à la maison quand Abdelkader y a amené cet islam politique. Après les coups de couteau, la DST m’avait convoqué. Je leur avais dit : “Le jour où il y a un attentat sur Toulouse, il ne faudra pas aller chercher très loin ; ce sera un de mes frères.” Ils ne m’ont pas cru. Ils ont pensé que je disais ça pour me venger. Comment êtes-vous devenu le « vilain petit canard » de cette famille endoctriné­e ? Après avoir rencontré la mère de mon fils, je me suis ouvertemen­t opposé à ma famille. Ils m’ont traité de traître, ont dit que je rejetais l’islam. Je leur ai dit : “Ce n’est pas l’islam que je rejette mais votre islam sectaire !” Mes parents ont essayé de m’éduquer dans cette haine de la France. Je ne m’y suis pas reconnu. Moi, cette France, je l’ai aimée dès mon arrivée ! C’est elle qui m’a sauvé, à travers son éducation nationale, sa police de proximité... et sa justice, quand elle m’a envoyé en prison, en , pour recel de mobylette. La justice a été comme une mère, qui m’a tapé sur les doigts pour me remettre sur le droit chemin. Pour moi, ça a marché. Mais il n’y avait pas encore ces prédicateu­rs, ces recruteurs qui travaillen­t la jeunesse en toute impunité...

Quels liens entretenai­ent vos deux frères entre eux ?

Abdelkader Merah avait la méchanceté en lui. Il a torturé Mohammed, qui était son souffredou­leur. Mais Mohammed et Abdelkader Merah ont bien caché leur jeu. Ils ont menti pour faire croire qu’ils ne s’entendaien­t plus.

Mohammed Merah préfigure l’avènement d’un nouveau type de terrorisme dit « low-cost »...

Il a ouvert une guerre. Il a libéré cette haine, cette facilité à passer à l’action. ll a banalisé le terrorisme en s’inspirant de ce que l’on voit en Israël. Il aimait cette violence. Et ça, Olivier Corel et toute sa bande l’ont bien compris ! Ils ont été visionnair­es des futures attaques. Ils ont réfléchi à tous les moyens possibles pour faire un maximum de victimes.

À l’image de l’attentat de Nice ?

Après le  juillet , j’ai repensé à ce témoignage d’un codétenu de Mohammed Merah. Il lui avait dit : “Si demain, je prends un  tonnes, combien de morts et de blessés je pourrais faire?” J’ai pensé que le visage du terrorisme avait changé.

Selon vous, Mohammed Merah aurait pu être à la place du tueur au camion ?

Oui. Il aurait pu le faire par la suite si on ne l’avait pas attrapé. Mais lui, il aimait plutôt les attaques ciblées avec des armes. J’aimerais préciser que mon seul regret, quand j’ai fait cette marche, est de ne pas être parti de Nice pour rendre hommage aux  victimes. J’ai vécu l’attentat de près car, à ce moment-là, j’habitais le cours Saleya. Lorsque j’ai entendu “Un homme avec une Kalach !”, j’ai cru qu’ils étaient venus pour moi... J’ai eu peur. Cette terreur que j’ai connue en Algérie m’a rattrapé. Depuis ce jour, je me sens niçois jusqu’au bout des ongles.

Pourquoi vous être établi à Nice ?

Je suis venu en février  y aider une associatio­n afin de casser l’image de Mohammed Merah. Je suis intervenu dans des collèges de Nice et des alentours. Il est en train de prendre la place de Ben Laden dans le coeur de beaucoup de jeunes qui le voient comme un héros, surtout dans les quartiers populaires. Je ne veux pas qu’ils tombent dans le piège dans lequel j’ai failli tomber moimême, au milieu des années , à l’époque de Khaled Kelkal.

Vous auriez pu basculer aussi ?

C’est difficile à dire... J’ai un instant idéalisé cet homme, car j’étais contre le système. Je ne voyais pas le terroriste mais le voyou, un peu comme Scarface. Quand j’ai vu qu’il avait tué au nom du GIA et du FIS, ça m’a rappelé l’Algérie que j’avais fui, quand ça tuait à tout-va au nom d’un islam sectaire. Alors, jusqu’à la fin de mes jours, je m’opposerai à ce que quiconque instrument­alise le nom de Mohammed Merah. C’est un assassin, un tueur d’enfants. Et la dernière fois qu’on a tué des enfants juifs, c’était sous les nazis !

Craignez-vous, subissez-vous les amalgames liés à votre nom ?

Certains me mettent dans le même lot. Je peux le comprendre, c’est humain... J’aurais peut-être fait pareil. Mais je ne veux pas redorer le nom Merah. Je veux que ce nom fasse peur. Que l’on comprenne que, dans une même famille, certains peuvent se battre pour la haine et d’autres, pour l’amour, la France et la laïcité.

Avez-vous songé à changer de nom ?

Cette question revient souvent... Ce nom, je ne le changerai jamais. Même s’il est lourd à porter. En revanche, je ne voulais pas que mon fils le porte, avant même que Mohammed Merah ne devienne ce tueur d’enfants et de militaires. Je disais à la mère de mon fils : “Tu verras : un jour, ce nom sera connu dans le monde entier...”

Comment vivez-vous, depuis ce basculemen­t en mars  ?

Je l’ai mal vécu. Je vis avec cette blessure. Mon couple a craqué, je vois de moins en moins mon fils... Mais je n’ai pas à me plaindre. Je suis SDF, je vis de la générosité des Français. J’ai perdu mon travail mais ce n’est que du matériel, par rapport à ceux qui ont perdu un proche. Je veux lancer un appel à cette jeunesse des quartiers populaires : ce n’est pas la police et la République qu’il faut haïr ! Aujourd’hui, l’islam n’est pas attaqué par la France mais par ses propres enfants. WWW.NICEMATIN.COM

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Les photos, les vidéos, Mais après 2012, j’ai dû en passer par là... »
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