Il avait tiré sur un inconnu : vingt-deux ans au meurtrier Une septuagénaire chute de mètres dans le Mercantour
Denis Chevalley, 53 ans, avait tué par balle, après une sortie de route, un homme à La Penne, parce que les précédents automobilistes ne s’étaient pas arrêtés. Il a été condamné hier pour meurtre
Il est 19 h, hier. Les policiers enlèvent les menottes de Denis Chevalley, 53 ans. Une liberté de courte durée. Le temps que le président de la cour d’assises Benoît Delaunay, l’air grave, prononce la sentence : vingt-deux ans de réclusion criminelle. L’accusé ne laisse rien paraître. Sur le banc des parties civiles, les proches d’André Vidor – cet homme tué au hasard le 27 décembre 2014 à La Penne –, s’enlacent. Ils ont rappelé qu’ils n’avaient ni haine ni esprit de vengeance, uniquement du chagrin. Ils espéraient en revanche un début d’explication rationnelle à un crime incompréhensible. Ils ont été déçus. Hier après-midi, vers 15 h 20, une septuagénaire a effectué une terrible chute non loin du lac Balaour, dans le Mercantour. Elle accompagnait un groupe d’une douzaine de personnes lorsqu’elle a soudainement glissé. Les randonneurs se trouvaient alors dans une zone située entre la Madone de Fenestre et le Gelas, à 2400 m d’altitude. La randonneuse, âgée de 70 ans, originaire de la région cannoise, a chuté sur une vingtaine de mètres dans un couloir très escarpé, mi herbeux, mi rocheux. Ses compagnons Denis Chevalley, mal dans sa peau, dépressif, sans emploi après avoir géré une entreprise de rénovation, a bien été victime d’une sortie de route entre PugetThéniers et La Penne le jour du drame. Légèrement blessé, arme à la main, il voulait que les automobilistes s’arrêtent. C’est du moins ce qu’il a confié aux gendarmes lors de sa garde à vue. Depuis sa mémoire lui fait défaut. Dans la matinée, Me Laurent Denis-Peraldi avait été le premier à plaider. Le premier à battre en brèche l’argument de la confusion mentale dont s’est prévalu depuis lundi l’accusé.
« Votre amnésie est une prison»
Me Sylvie Reboul, qui porte la voix d’une adolescente de 14 ans, orpheline de son père, stigmatise à son tour l’attitude de Denis Chevalley. Elle le fixe : « Cette amnésie est une zone de protection. Ça vous permet de maquiller un meurtre en accident et de vous faire passer pour une victime aux yeux de vos proches. Mais cette amnésie c’est aussi une prison. Juger c’est comprendre : vous ne nous donnez aucune de randonnée ont immédiatement prévenu les secours via une radio. L’hélicoptère Dragon 06 de la Sécurité civile, embarquant à son bord deux hommes du Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM), et un médecin des sapeurs pompiers, s’est rendu sur les lieux. Un camp de base a d’abord été établi à la Madone de Fenestre. Les sauveteurs du PGHM ont ensuite entrepris de se porter à la hauteur de la victime. Sérieusement blessée, elle souffrait de contusions à la tête et au clef pour comprendre. » Aux jurés, avant de requérir trente ans de réclusion criminelle, soit la peine maximale encourue pour réprimer un meurtre, l’avocat général Fabrice Karcenty cite un sociologue : « Le meurtre est l’ultime échec de la parole. Cette parole, Denis Chevalley n’en veut pas. La parole implique la confrontation à l’autre. Cela définit le mobile. Ce silence, on ne l’accepte pas, personne ne l’accepte. » Le magistrat a tout tenté, y compris lors de la dernière matinée quand il a quitté son estrade pour venir au plus près du box de l’accusé. Le dialogue qui s’est engagé résume à lui seul les trois jours et demi de débats. corps. Elle a été hélitreuillée et héliportée vers les urgences de l’hôpital des Broussailles à Cannes. - Quand votre état de confusion débute-t-il ? - Dès que je pars de chez moi. Quand je dis que je vais chez Valérie alors que je vais ailleurs. - Quand retrouvez-vous vos esprits. - Quand j’arrive à la maison d’arrêt. - Avez-vous voulu vous cacher après les faits. -Non - Comment pouvez-vous répondre non alors que vous êtes dans un état de confusion mentale ? Avez-vous menti à certains moments de la procédure ? - Euh… (silence) Je cherche à comprendre… Mentir euh… Tout est sujet à interprétation. - Est-ce que vous plaidez coupable de chef de meurtre. L’opération de sauvetage s’est achevée vers 17 h 20. - Bien entendu. - Vous aviez la volonté de tuer ? - La volonté de tuer quelqu’un, jamais de la vie. « Il y a de l’absurde dans ce meurtre. Il y a aussi de la toute puissance : on ne le connaît pas, on ne lui parle pas et on le tue parce qu’on en décide. C’est effrayant », souligne l’avocat général.
«Alcool et anxiolytiques»
Me Olivia Marangoni exprimet sa « stupeur », à l’issue du réquisitoire. « Une peine in-com-pré-hen-sible », martèle Me Eric Scalabrin. L’accusé, sans casier judiciaire », qualifié de « brave garçon »,« ce père fusionnel avec sa fille » mérite-t-il une telle intransigeance ? « Ses actes, ses déclarations sont incohérents », soulignent tour à tour les deux avocats. La défense veut convaincre les jurés que Denis Chevalley, au moment du drame, souffrait d’une altération du discernement. Qu’en l’absence d’une véritable volonté de tuer, ils peuvent requalifier le crime en « violence avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner. »Mêmesi les psychiatres ne vont pas dans leur sens, Mes Marangoni et Scalabrin rappellent que le premier témoin a aperçu sur la route Denis Chevalley titubant. L’abus d’alcool, d’anxiolytiques et sa passion du tir ont métamorphosé un citoyen ordinaire en meurtrier. Même les enquêteurs ne pouvaient y croire. Un homme qui tire à quatre reprises sur un autre homme, il y a forcément une raison. Les proches de la victime doivent se rendre à cette cruelle évidence: André Vidor, un employé de supermarché modèle, un père aimant, a été pris pour cible par hasard. N’importe qui d’autre, au détour d’un virage de cette route du hautpays aurait pu se retrouver dans la ligne de mire de Denis Chevalley.