Nice-Matin (Cannes)

Il avait tiré sur un inconnu : vingt-deux ans au meurtrier Une septuagéna­ire chute de  mètres dans le Mercantour

Denis Chevalley, 53 ans, avait tué par balle, après une sortie de route, un homme à La Penne, parce que les précédents automobili­stes ne s’étaient pas arrêtés. Il a été condamné hier pour meurtre

- GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr

Il est 19 h, hier. Les policiers enlèvent les menottes de Denis Chevalley, 53 ans. Une liberté de courte durée. Le temps que le président de la cour d’assises Benoît Delaunay, l’air grave, prononce la sentence : vingt-deux ans de réclusion criminelle. L’accusé ne laisse rien paraître. Sur le banc des parties civiles, les proches d’André Vidor – cet homme tué au hasard le 27 décembre 2014 à La Penne –, s’enlacent. Ils ont rappelé qu’ils n’avaient ni haine ni esprit de vengeance, uniquement du chagrin. Ils espéraient en revanche un début d’explicatio­n rationnell­e à un crime incompréhe­nsible. Ils ont été déçus. Hier après-midi, vers 15 h 20, une septuagéna­ire a effectué une terrible chute non loin du lac Balaour, dans le Mercantour. Elle accompagna­it un groupe d’une douzaine de personnes lorsqu’elle a soudaineme­nt glissé. Les randonneur­s se trouvaient alors dans une zone située entre la Madone de Fenestre et le Gelas, à 2400 m d’altitude. La randonneus­e, âgée de 70 ans, originaire de la région cannoise, a chuté sur une vingtaine de mètres dans un couloir très escarpé, mi herbeux, mi rocheux. Ses compagnons Denis Chevalley, mal dans sa peau, dépressif, sans emploi après avoir géré une entreprise de rénovation, a bien été victime d’une sortie de route entre PugetThéni­ers et La Penne le jour du drame. Légèrement blessé, arme à la main, il voulait que les automobili­stes s’arrêtent. C’est du moins ce qu’il a confié aux gendarmes lors de sa garde à vue. Depuis sa mémoire lui fait défaut. Dans la matinée, Me Laurent Denis-Peraldi avait été le premier à plaider. Le premier à battre en brèche l’argument de la confusion mentale dont s’est prévalu depuis lundi l’accusé.

« Votre amnésie est une prison»

Me Sylvie Reboul, qui porte la voix d’une adolescent­e de 14 ans, orpheline de son père, stigmatise à son tour l’attitude de Denis Chevalley. Elle le fixe : « Cette amnésie est une zone de protection. Ça vous permet de maquiller un meurtre en accident et de vous faire passer pour une victime aux yeux de vos proches. Mais cette amnésie c’est aussi une prison. Juger c’est comprendre : vous ne nous donnez aucune de randonnée ont immédiatem­ent prévenu les secours via une radio. L’hélicoptèr­e Dragon 06 de la Sécurité civile, embarquant à son bord deux hommes du Peloton de gendarmeri­e de haute montagne (PGHM), et un médecin des sapeurs pompiers, s’est rendu sur les lieux. Un camp de base a d’abord été établi à la Madone de Fenestre. Les sauveteurs du PGHM ont ensuite entrepris de se porter à la hauteur de la victime. Sérieuseme­nt blessée, elle souffrait de contusions à la tête et au clef pour comprendre. » Aux jurés, avant de requérir trente ans de réclusion criminelle, soit la peine maximale encourue pour réprimer un meurtre, l’avocat général Fabrice Karcenty cite un sociologue : « Le meurtre est l’ultime échec de la parole. Cette parole, Denis Chevalley n’en veut pas. La parole implique la confrontat­ion à l’autre. Cela définit le mobile. Ce silence, on ne l’accepte pas, personne ne l’accepte. » Le magistrat a tout tenté, y compris lors de la dernière matinée quand il a quitté son estrade pour venir au plus près du box de l’accusé. Le dialogue qui s’est engagé résume à lui seul les trois jours et demi de débats. corps. Elle a été hélitreuil­lée et héliportée vers les urgences de l’hôpital des Broussaill­es à Cannes. - Quand votre état de confusion débute-t-il ? - Dès que je pars de chez moi. Quand je dis que je vais chez Valérie alors que je vais ailleurs. - Quand retrouvez-vous vos esprits. - Quand j’arrive à la maison d’arrêt. - Avez-vous voulu vous cacher après les faits. -Non - Comment pouvez-vous répondre non alors que vous êtes dans un état de confusion mentale ? Avez-vous menti à certains moments de la procédure ? - Euh… (silence) Je cherche à comprendre… Mentir euh… Tout est sujet à interpréta­tion. - Est-ce que vous plaidez coupable de chef de meurtre. L’opération de sauvetage s’est achevée vers 17 h 20. - Bien entendu. - Vous aviez la volonté de tuer ? - La volonté de tuer quelqu’un, jamais de la vie. « Il y a de l’absurde dans ce meurtre. Il y a aussi de la toute puissance : on ne le connaît pas, on ne lui parle pas et on le tue parce qu’on en décide. C’est effrayant », souligne l’avocat général.

«Alcool et anxiolytiq­ues»

Me Olivia Marangoni exprimet sa « stupeur », à l’issue du réquisitoi­re. « Une peine in-com-pré-hen-sible », martèle Me Eric Scalabrin. L’accusé, sans casier judiciaire », qualifié de « brave garçon »,« ce père fusionnel avec sa fille » mérite-t-il une telle intransige­ance ? « Ses actes, ses déclaratio­ns sont incohérent­s », soulignent tour à tour les deux avocats. La défense veut convaincre les jurés que Denis Chevalley, au moment du drame, souffrait d’une altération du discerneme­nt. Qu’en l’absence d’une véritable volonté de tuer, ils peuvent requalifie­r le crime en « violence avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner. »Mêmesi les psychiatre­s ne vont pas dans leur sens, Mes Marangoni et Scalabrin rappellent que le premier témoin a aperçu sur la route Denis Chevalley titubant. L’abus d’alcool, d’anxiolytiq­ues et sa passion du tir ont métamorpho­sé un citoyen ordinaire en meurtrier. Même les enquêteurs ne pouvaient y croire. Un homme qui tire à quatre reprises sur un autre homme, il y a forcément une raison. Les proches de la victime doivent se rendre à cette cruelle évidence: André Vidor, un employé de supermarch­é modèle, un père aimant, a été pris pour cible par hasard. N’importe qui d’autre, au détour d’un virage de cette route du hautpays aurait pu se retrouver dans la ligne de mire de Denis Chevalley.

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(Photo archives Franz Chavaroche). Me Denis-Peraldi et Me Reboul, avocats des parties civiles, ont remis en cause la stratégie de défense de l’accusé qui s’est retranché derrière une prétendue amnésie. (Photos Ch. P.) L’hélicoptèr­e Dragon  est intervenu ce jeudi après-midi sur les...

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