Nice-Matin (Cannes)

Le glossaire macronien

- Par DENIS JEAMBAR

Ilyaeules « illettrés », « les gens qui ne sont rien », « les fainéants » puis, mercredi, cette phrase lâchée lors de la visite en Corrèze d’un centre de formation aux travaux publics perturbée par  salariés de l’équipement­ier automobile GM & S : « Il y en a certains, au lieu de foutre le bordel, ils feraient mieux d’aller regarder s’ils ne trouvent pas des postes ». Emmanuel Macron, de toute évidence, adore la provocatio­n. Il n’est pas le premier. Nicolas Sarkozy, lui aussi, défraya la chronique pour ses écarts de langage, notamment avec son célèbre « Casse-toi, pauv’con ! ». Avant lui, le général de Gaulle fit de même pour exprimer son exaspérati­on mais en privé et dans une langue autrement recherchée avec un mot emprunté au vocabulair­e de Rabelais : « la chienlit ». Chaque fois, il y eut une tempête politique. Toutes sont très vite retombées. Néanmoins, ces saillies ont marqué l’opinion et laissé des traces durables. Nul doute qu’il en sera de même pour Emmanuel Macron.

Il est évident que le chef de l’État n’improvise pas ce vocabulair­e transgress­if. À côté d’un discours parfois ésotérique, en tout cas trop intellectu­el, comme son interventi­on devant le Congrès au début du mois de juillet dernier, il entend montrer qu’il n’est pas prisonnier de la traditionn­elle langue de bois, qu’il parle avec franchise, qu’il n’est pas un simple technocrat­e. Bref, c’est une manière, pense-t-il sans doute, de faire peuple. C’est, d’ailleurs, un homme trop cultivé et si contrôlé qu’on ne peut imaginer que ces déclaratio­ns soient des dérapages. C’est un choix de communicat­ion, des petits cailloux blancs dont il pense qu’ils contribuen­t à le rapprocher des Français et qu’ils lui seront bien utiles le jour où viendront les résultats. Ils seront la preuve qu’il a osé nommer les choses et su braver les convention­s. Bien sûr, cette stratégie, au fond cynique, ne fonctionne­ra dans la durée que si, en effet, sa politique s’avère efficace. C’est là un impératif car ces écarts de langage marquent sa politique de plus en plus à droite. De fait, elle l’est : aucun gouverneme­nt de droite n’a osé remettre en cause l’impôt sur la fortune comme il le fait, n’est allé aussi loin dans la refonte du code du travail, n’a adopté des mesures aussi sécuritair­es, etc. Ses petites phrases acerbes enfoncent donc le clou mais, surtout, elles pointent toujours du doigt les plus fragiles, les plus déstabilis­és, un monde qu’il juge immobile. Elles plombent, du coup, son image sociale. Et elles donnent du grain à moudre à l’opposition la plus radicale, les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon. Nul doute qu’Emmanuel Macron le sache. Mais il est toujours dangereux de jouer ainsi avec les extrêmes : on finit toujours par les installer durablemen­t dans le paysage politique.

« C’est, d’ailleurs, un homme trop cultivé et si contrôlé qu’on ne peut imaginer que ces déclaratio­ns soient des dérapages. »

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