Nice-Matin (Cannes)

PV pour les sociétés : double peine

Entrée en vigueur le 1er janvier, une nouvelle loi permet désormais de verbaliser les entreprise­s, et plus seulement les particulie­rs, pour des délits routiers. Mais la mesure vire au casse-tête administra­tif

- ERIC GALLIANO egalliano@nicematin.fr

Depuis le 1er janvier 2017, les entreprise­s peuvent être verbalisée­s au même titre que les particulie­rs si un véhicule de leur flotte commet une infraction. Comme il s’agit d’une personne morale – et non physique –, le montant de l’amende forfaitair­e est même multiplié par cinq ! Pour y échapper, les entreprise­s doivent absolument remplir un formulaire administra­tif de désignatio­n. Ce que nombre d’entre elles, notamment les sociétés à salarié unique que sont les profession­s libérales, ignoreraie­nt encore. Du coup, un mois après s’être acquittés de leur PV, ces derniers en reçoivent un nouveau. Majoré qui plus est ! L’associatio­n 40 millions d’automobili­stes et la fédération des infirmiers libéraux dénoncent une situation ubuesque.

Du CAC  au plombier du coin

« C’est une tuerie ! » Me JeanBaptis­te Iosca n’y va pas par quatre chemins. Si l’on en croit cet avocat d’origine azuréenne dont le cabinet parisien s’est spécialisé dans la défense des droits des automobili­stes, les procès-verbaux pour non-désignatio­n du conducteur sont en train de faire des ravages. « Une grosse entreprise française vient de m’en adresser un carton entier : 300 PV majorés à 1600 euros », assure Me Iosca qui fait un rapide calcul : «Il y en a pour plus de 400 000 euros. Est-ce que, dans le contexte actuel, nos entreprise­s ont bien besoin de cela ? Et encore je vous parle de l’une des dix plus grosses sociétés françaises. Mais imaginez quand ça tombe sur le plombier du coin...» Nicolas n’est pas plombier mais carrossier à Nice. « J’ai Me Jean-Baptiste Iosca entend bien contester ces PV d’un nouveau genre. C’est même sa spécialité. Et selon lui «des parades existent» : «Le mieux c’est que l’entreprise désigne le salarié et que le salarié, lui, conteste l’infraction. Dans ce cas la machine administra­tive trois véhicules de prêt immatricul­és au nom de ma société », explique-t-il. Or, un de ses clients s’est récemment fait flasher sous le tunnel de la pénétrante du Paillon à 53 km/h avec l’une de ses voitures de courtoisie. Ce sont des choses qui arrivent. Jusqu’à présent Nicolas demandait au contrevena­nt de s’acquitter directemen­t de l’amende « pour éviter d’avoir à lui facturer en plus la TVA » et gardait une trace du virement. Si ce n’est que cette fois il a reçu, un mois plus tard, une nouvelle amende de 450 euros.

Paiement ne vaut pas désignatio­n

Car pour l’administra­tion, le paiement du PV par un particulie­r ne vaut pas, de fait, désignatio­n de celui-ci en lieu et place de l’entreprise. Il faut quand même remplir le fameux formulaire. Ce que n’a pas fait le client de Nicolas. Le carrossier niçois ne peut le blâmer : « Même nous en tant que profession­nels nous n’avons reçu aucune informatio­n sur ces nouvelles dispositio­ns », déplore Nicolas qui aurait espéré au moins «un peu d’indulgence. » Mais l’administra­tion ne semble pas en faire preuve. Et c’est bien ce que dénonce l’associatio­n 40 millions d’automobili­stes qui dit avoir alerté « dès le début » les pouvoirs publics des gros problèmes au-devant desquels ils allaient. Car nombre de profession­nels libéraux seraient tombés dans ce nouveau piège administra­tif. La fédération nationale des infirmiers tire d’ailleurs elle aussi le signal d’alarme. « Le problème concerne en fait toutes les sociétés à salarié unique, assure Pierre Chasserey, le délégué général de 40 millions d’automobili­stes. se grippe », assure cet avocat parisien spécialisé dans la défense des droits des automobili­stes qui a d’ailleurs été invité à venir donner une conférence sur le sujet le  novembre prochain par ses confrères de l’associatio­n des jeunes avocats du barreau de Nice. Je ne vous parle pas de fraudeurs, mais de gens de bonne foi. Ils ont payé leur amende, mais parce qu’ils n’ont pas rempli ce formulaire absurde qui demande à la société de M. X, dont M. X est de toute façon l’unique salarié de désigner M. X comme conducteur de la voiture dont il est le seul utilisateu­r, ils se retrouvent avec 450 euros à payer... En plus ! »

«Impôt sur les sociétés bis»

Pierre Chasserey ne décolère pas : « Même dans les heures les plus sombres de notre histoire on n’avait pas imaginé un tel système qui oblige les gens à s’autodésign­er ! » Mais, alors que les cas se multiplien­t, ce qui fait le plus bondir le président de 40 millions d’automobili­stes c’est l’indifféren­ce des pouvoirs publics : « J’ai alerté jusqu’au délégué interminis­tériel à la sécurité routière sur les failles de ce système... Et rien ! Mais qu’est-ce qu’il croit ce monsieur qui roule dans une voiture avec chauffeur ? Pour beaucoup de gens 450 euros c’est le prix de leur loyer ! » Or, le temps de faire des recours gracieux qui reviennent systématiq­uement infructueu­x, la note peut vite monter, de majoration en majoration, à plus de 1600 euros. « Pour le plombier du coin c’est peut-être son bénéfice du mois », renchérit Me Iosca pour qui on vient d’inventer « un impôt sur les sociétés bis » en partant du principe qu’elles auront « toujours les moyens de payer ». « Mais la réalité c’est qu’avec ces PV pour non-désignatio­n, aujourd’hui on met des boîtes en faillite », assure l’avocat.

 ?? (DR) ?? Nicolas, carrossier niçois, croule sous les amendes pour non-dénonciati­on et a bien du mal à faire reconnaîtr­e sa bonne foi ! (Photo Franck Fernandes) Me Iosca, avocat spécialisé dans la défense des automobili­stes.
(DR) Nicolas, carrossier niçois, croule sous les amendes pour non-dénonciati­on et a bien du mal à faire reconnaîtr­e sa bonne foi ! (Photo Franck Fernandes) Me Iosca, avocat spécialisé dans la défense des automobili­stes.

Newspapers in French

Newspapers from France