Nice-Matin (Cannes)

Procès A. Merah: «Il est dans un contrôle absolu»

Début de la deuxième semaine du procès d’Abdelkader Merah, jugé pour complicité dans les actes terroriste­s commis par son frère Mohamed en mars 2012 à Toulouse et Montauban…

- S. G. PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

La deuxième semaine du procès d’Abdelkader Merah débute aujourd’hui. Il est jugé depuis lundi dernier par la cour d’assises spéciale de Paris, composée de magistrats profession­nels, pour complicité dans les actes terroriste­s commis par son frère, Mohamed Merah (notre dossier du lundi  octobre). Sept personnes – trois militaires, un enseignant et trois enfants juifs – froidement abattues à Toulouse et Montauban. C’était en mars . Une tuerie revendiqué­e par le groupe djihadiste Jund al-Khilafa, branche d’al-Qaïda, dirigé par le Tunisien Moez Garsallaou­i. Ce procès, prévu pour durer jusqu’au  novembre, est le premier de l’histoire depuis que le terrorisme en France a entamé sa mutation liée au djihadisme. Abdelkader, surnommé dans son quartier « le grand Ben Laden » (il était l’aîné de Mohamed qui était, lui, surnommé « le petit Ben Laden »), est accusé d’avoir « sciemment » facilité la « préparatio­n des crimes» de son frère en l’aidant, entre autres, à dérober le scooter utilisé lors des assassinat­s. A ses côtés, un délinquant toulousain, Fettah Malki,  ans, qui comparaît pour avoir fourni au tueur islamiste un gilet pare-balles, un pistolet-mitrailleu­r et des munitions. Et s’ils reconnaiss­ent - plus ou moins - la matérialit­é des faits, les deux accusés contestent, cependant, avoir connu les intentions criminelle­s de Merah… Le Niçois Philippe Soussi est l’avocat de l’une des parties civiles dans ce procès emblématiq­ue : Bryan Bijaoui, grièvement blessé au thorax par Mohamed Merah à Ozar HaTorah – l’école juive rebaptisée depuis Ohr Torah. Cet Antibois de  ans a préféré ne pas assister aux débats. «Ne pas écouter, ne pas voir Abdelkader Merah, sa façon à lui de se reconstrui­re », selon maître Soussi.

Que faut-il retenir de la semaine écoulée dans ce procès ?

Nous nous sommes penchés sur le CV des deux accusés, en dehors de leur engagement religieux, car le président a souhaité le faire en deux temps. Il y a eu le témoignage du patron du Raid au moment de l’interventi­on, celui du directeur de la SDAT [la sous-direction antiterror­iste de Toulouse, un service de police judiciaire, Ndlr]. Et puis deux ou trois policiers ont témoigné, sous la procédure d’anonymisat­ion. Les balisticie­ns et les médecins légistes se sont, aussi, succédé à la barre. Ainsi que quelques témoins qui ont évoqué la personnali­té des militaires abattus. Il faut surtout retenir de cette première semaine une ambiance écrasée par le poids des crimes de Merah.

Les débats ne sont pas encore entrés dans le détail ?

Nous ne sommes pas encore allés dans le détail des éléments de complicité reprochés aux deux accusés. Mais on a déjà compris le système de défense d’Abdelkader Merah. Quant à Malki, il en est à sa neuvième version sur la fourniture du pistolet-mitrailleu­r. Il y en aura certaineme­nt une dixième et une onzième…

Et quel est le système de défense du frère de Merah ?

Pour moi, il a la même posture de provocatio­n qu’à l’instructio­n. Dans un premier temps, il a expliqué à l’audience qu’il n’est pas un islamiste radical. Pendant toute une journée, il n’a cessé de répéter qu’en fait, nous étions des ignorants. Il n’a pas cessé de comparer son mode de vie à celui des « Occidentau­x ». Que nous ne comprenion­s rien à son mode de vie ! Puis, il a fini par dire : « À supposer que je sois un islamiste radical, alors prouvezmoi que j’ai été le complice de mon frère ». Lors de sa garde à vue, Abdelkader avait dit aux policiers : « Je suis fier de ce que mon frère a fait. »

Il y a deux sortes de complicité dans cette affaire : l’aide matérielle apportée, avec le scooter par exemple, mais aussi une complicité immatériel­le…

Oui, il y a l’endoctrine­ment, le fait d’avoir poussé son jeune frère Mohamed dans la pensée djihadiste, d’avoir joué le rôle de mentor. Bref de l’avoir provoqué, encouragé au crime. Et puis, il y a le scooter qui a servi lors de la tuerie. L’accusé nie le vol. Il affirme avoir été présent, mais ne pas avoir participé. Avec les autres parties civiles, nous estimons que tous les éléments de complicité sont absolument accablants.

Quel est son comporteme­nt à l’audience ?

Il est toujours dans la provocatio­n, même s’il essaie de se lisser un peu. Il affirme avoir dit des choses en garde à vue parce qu’il avait été provoqué par les policiers et qu’il avait répondu à la provocatio­n par la provocatio­n. Je ne m’attends pas une seconde à ce que sa ligne de défense bouge. En le regardant l’autre jour, je me disais : « Il vit dans un autre monde, c’est effrayant. » Lors des débats, il est toujours très calme, impassible. Il est extrêmemen­t structuré. Il ne réagit pas. Il est dans un contrôle absolu. Dans sa logique à lui. Et toujours habillé de blanc… Comme dit Latifa Ibn Ziaten [la mère d’Imad, le premier militaire assassiné par Merah, Ndlr] : il est à fond dans sa secte.

La semaine dernière, il y a eu un témoignage un peu troublant : celui d’un policier décrivant Mohamed Merah comme un loup solitaire ?

Ça a été très surprenant, oui ! Le problème, c’est que ce policier n’était pas dans le renseignem­ent, mais dans la police judiciaire. Donc il est intervenu après les faits. Il a déposé pendant deux ou trois heures sans jamais prononcer le nom d’al-Qaïda ! Et pour finalement nous dire que c’est un loup solitaire car il a été seul dans l’exécution de son crime. Comme le dit le juge Marc Trevidic, le djihad individuel ça n’existe pas. Mohamed Merah n’était pas un loup solitaire.

Y a-t-il eu des incidents de séance depuis l’ouverture du procès ?

De nombreux, oui… Je pense au jour où la mère de l’accusé et de Mohamed Merah est venue lui envoyer un baiser, puis a tenu une conférence de presse pour dire que son fils était innocent. Ça a été très mal vécu par les parties civiles.

Que va-t-il se passer au procès cette semaine ?

C’est une semaine cruciale qui s’ouvre, comme celle d’après, d’ailleurs. Les deux plus importante­s. Aujourd’hui, nous allons entendre encore de nombreux policiers, notamment du renseignem­ent. Demain, il y aura le compte rendu d’expertise des éléments informatiq­ues retrouvés chez Abdelkader. Et jeudi, l’audience sera concentrée sur le scooter. Enfin, vendredi, il y aura la première audition de l’accusé sur le fond. Avec peut-être la question de son engagement religieux.

Dans quel état d’esprit sont les parties civiles dans ce procès un peu particulie­r, puisque Mohamed Merah ne fera jamais face à la justice ?

En ouvrant les débats, le président a dit : « Les faits sont terribles, la cour a à juger des faits terribles »… C’est un procès nécessaire. Et important. Mais tellement douloureux. Et à cette douleur s’ajoutent les provocatio­ns de l’accusé…

Et votre client, Bryan ?

L’approche du procès l’a bouleversé. Sa résilience à lui se situe dans la mise à distance. Il n’assiste pas à l’audience. Quand je vois le comporteme­nt d’Abdelkader Merah, je le comprends.

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(Photo d’archives DR) L’avocat niçois Philippe Soussi est conseil de l’une des parties civiles.

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