Nice-Matin (Cannes)

Il a inventé une ancre qui n’arrache pas les posidonies Les herbiers, véritables poumons de la Méditerran­ée, sont menacés Notre vidéo sur WWW.NICEMATIN.COM

Antoine Canu a mis au point une ancre écologique, « made in Vallauris ». Chef d’entreprise à la retraite, ce plaisancie­r bricoleur veut convaincre Nicolas Hulot. Rencontre

- SOPHIE CASALS scasals@nicematin. fr

Le déclic, Antoine Canu l’a eu en navigant. « Même si je fais attention aux zones de mouillage, il m’est arrivé de remonter mon ancre et d’y trouver des posidonies accrochées. Avec tous les bateaux qui fréquenten­t la Côte, je me suis dit qu’il fallait agir. » Cet ancien chef d’entreprise décide alors de concevoir une ancre d’un genre nouveau. « Quand il y a un problème, j’aime m’employer à le solutionne­r, raconte le dynamique octogénair­e. Dès que j’ai pris ma retraite sur la Côte d’Azur, j’ai profité de mon temps libre pour travailler sur ce projet. »

Une ancre articulée

Bricoleur, le plaisancie­r imagine un système qui verrouille et déverrouil­le les pattes de l’ancre, pour qu’elles ne labourent plus les herbiers de posidonies. Après un an de mise au point, équipé de son prototype, il contacte le professeur Alexandre Meinesz, pour faire des tests grandeur nature. « Il a été tout de suite réceptif. Nous avons mouillé dans les fonds marins varois et des plongeurs vérifiaien­t la position de l’ancre et l’impact sur les herbiers. » Les tests sont concluants. « J’ai alors lancé une pré-série pour arriver à ce modèle. » Un développem­ent qu’il finance sur ses propres deniers. L’inventeur se livre à une rapide démonstrat­ion. « Quand vous jetez l’ancre, lorsqu’elle est en traction, les pointes se bloquent et pénètrent dans le sol. Sans ratisser les posidonies. Quand vous la remontez, à l’aplomb du point d’amarrage, l’ancre se déverrouil­le, libérant ainsi les pattes qui se placent dans l’axe de la chaîne à la verticale. » Son brevet déposé, il lance la fabricatio­n. Décroche au passage la médaille d’or au Mondial de l’innovation et de l’invention. C’est l’entreprise TransfoMét­al, à Vallauris, qui produit ces ancres en inox. Leur coût : entre 350 et 850 euros selon le modèle. Elles conviennen­t aux yachts jusqu’à 16 mètres. « Le parc national de Port-Cros et la Fondation Paul Ricard se sont équipés d’une ancre écologique et une centaine de personnes “sensibles” à l’environnem­ent ont aussi passé commande. »

Et maintenant?

L’inventeur aimerait que l’industrie nautique et les plaisancie­rs s’emparent de son invention. « Made in France ». «Ces ancres sont fabriquées à Vallauris, alors que les 25 000 qui équipent les nouveaux bateaux sont importées de Chine ou d’Inde… Ce n’est pas très écolo. » Il a identifié les freins à l’adoption de son invention : « Tout le monde est emballé, mais le coût est 30 % supérieur à celui d’une ancre classique parce qu’elle est en inox. Comme il y a des pièces en mouvement, il ne faut pas qu’il y ait de rouille qui compromett­rait leur fonctionne­ment. Et l’ancre nécessite d’être positionné­e d’une certaine manière sur le davier. » Il estime qu’il faudrait « obliger les constructe­urs à équiper les nouveaux yachts d’une ancre écologique. On donne bien des primes à l’achat de véhicules électrique­s, on pourrait imaginer un coup de pouce pour cet équipement. Tant que l’État ne se saisit pas du problème et ne rend pas obligatoir­e cette ancre écologique, les herbiers disparaîtr­ont. » Antoine Canu a donc interpellé le nouveau ministre de l’Écologie. « J’ai écrit à Nicolas Hulot, il y a quinze jours. » Ses yeux azur pétillent. « J’aimerais le convaincre. » Et vite. Pour que les fonds marins ne ressemblen­t pas à des déserts. De la frontière italienne à Toulon, les navires jettent l’ancre dans des zones abritées du littoral. Avec un pic de fréquentat­ion en été. Et, quand ils mouillent dans les posidonies, ces plantes endémiques de la Méditerran­ée, ils ravagent les herbiers. Chaque été, des milliers de m sont ainsi arrachés. Un véritable massacre écologique quand on sait que ces forêts sous-marines abritent  % de la biodiversi­té et servent de nurserie aux poissons. La capacité de production des herbiers en matière organique et en oxygène est comparable aux forêts tropicales. Poumon de la Méditerran­ée, ces plantes ont été classées parmi les  espèces protégées de Mare nostrum. Les convention­s de Berne et de Barcelone, et un arrêté ministérie­l du  juillet , la protègent. Mais dans les faits, ces forêts sous-marines pourtant vitales à leur écosystème régressent.

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(Photos E. D.) A  ans, Antoine Canu ne coule pas vraiment une retraite oisive à Antibes. Cet ancien chef d’entreprise remue ciel et terre pour imposer son invention et préserver les posidonies. (Photo Philippe Bertini) Quand les plaisancie­rs jettent leurs ancres...
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