Nice-Matin (Cannes)

30 ans d’auberges espagnoles... et même plus !

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Je suis français, espagnol, anglais, danois. Je suis pas un, mais plusieurs. Je suis comme l’Europe, je suis tout ça. Je suis un vrai bordel. » Si l’Europe était un être vivant, sans doute s’exprimerai­t-elle - de façon certes plus châtiée - à la manière de Romain Duris dans L’auberge espagnole. Le film culte de Cédric Klapisch sur la génération Erasmus, Stéphanie Maresch l’a vécu. Avec quelques années d’avance. C’était à Madrid, en 1997. Stéphanie avait 21 ans. Elle ne s’appelait pas encore Maresch, n’était pas encore niçoise, ni maman. C’est là, il y a vingt ans quasiment jour pour jour, que Stéphanie a connu Alexander, « l’homme de sa vie ». La rencontre s’est nouée lors d’une soirée d’Halloween « qui a dérapé », sourit la jolie quadra. La petite Française du Val d’Oise y a fait la connaissan­ce d’Alexander l’Autrichien, tout juste débarqué de son village proche de Vienne,

‘‘ venu en Espagne un peu par hasard. En l’espèce, ce dernier a bien fait les choses. « Sans Erasmus, jamais nos destins ne se seraient croisés ! », s’exclame Stéphanie. Les enfants nés de leur union peuvent dire gracias au programme européen : Max, 11 ans, Victor, 9 ans, et Joséphine, 4 ans, sont trois « bébés Erasmus ». Et leur mère s’en dit fière. Pour Stéphanie, ce séjour à Madrid incarne « la plus belle année de [s]a vie ». Une année de movida, de fiestas, de tapas et de sangrias. Une année en colocation « à six filles », issues d’autant de nationalit­és, où elle s’est forgée de solides amitiés et a cultivé une inextingui­ble soif d’ailleurs. « Je n’ai jamais autant voyagé qu’en restant à Madrid ! On s’est vite invités les uns chez les autres. On a noué des liens très forts. Un peu comme dans la téléréalit­é, quand on est perdu en arrivant... »

« Une chance énorme » A l’époque, Loft story n’existe pas encore. Pas plus que Facebook, Instagram, WhatsApp ou même l’euro. Le dépaysemen­t est total. C’est même la clé d’un séjour réussi, estime Stéphanie. Car non, toutes les expérience­s ne sont pas aussi concluante­s. « Ceux qui ratent leur Erasmus sont ceux qui restent entre communauté­s. Bien sûr, on a tous des coups de blues. L’une de mes colocs est même rentrée : peut-être avaitelle un trop-plein de... trop. Mais on avait tous conscience de la chance énorme qui nous était donnée. » Le regard pétillant, Stéphanie raconte les soirées Erasmus du jeudi, les fêtes d’anniversai­re, l’ambiance des bars lors des matchs de foot ou de l’Eurovision. Mais l’étudiante en droit-espagnol, passée des amphis de Cergy-Pontoise à ceux de Complutens­e, n’en a pas oublié de travailler. « J’ai quand même eu mon année avec mention Très Bien ! », s’amuse-t-elle. Erasmus, rebaptisé « Orgasmus » par de petits malins, aura brisé autant de couples qu’il en a créés. Stéphanie, elle, a prolongé le voyage en fondant une famille née sous une bonne étoile européenne. Le couple s’est marié, a emménagé en 2008 à Nice, où sont nés deux de leurs pitchouns. « L’Europe, je la vis au quotidien avec ma famille. Je parle à mes enfants en français, Alexander en allemand, et l’espagnol est resté notre langue de couple. On se sent citoyens européens, sans réelle attache - c’est pourquoi on reste locataires. Et je ne doute pas que nos enfants voudront voyager à leur tour... »

Madrid, la plus belle année de ma vie”

Forcément, l’Europe, Stéphanie Maresch la vit jusque dans son quotidien profession­nel. Au sein du réseau Kompaso, elle travaille sur les programmes européens du rectorat. Ce vendredi, l’académie de Nice soufflait justement les 30 bougies d’Erasmus. Elle a choisi pour l’occasion un lieu symbolique : l’aéroport Nice Côte d’Azur. Là où tout commence. « Erasmus, c’est le programme européen par excellence. Il porte des valeurs d’échange, de respect, de partage, face à l’obscuranti­sme. C’est une chance extraordin­aire de pouvoir s’ouvrir à la vaste Europe », salue Dominique Thillaud, le président du directoire des aéroports de la Côte d’Azur. Ce matin-là, drapeaux et t-shirts siglés Erasmus days sont de sortie, fièrement portés par collégiens et lycéens, en danse et en musique. Preuve bien vivantes qu’Erasmus n’est plus, aujourd’hui, réservé aux seuls étudiants.

« Une expérience unique » Christian Veloria est venu en témoigner. A 18 ans, cet ancien du lycée Escoffier à Cagnes-sur-Mer, désormais passé à Paul-Augier à Nice, a séjourné quatre semaines en Autriche au printemps. Il y a séjourné en auberge de jeunesse, près de Vienne. « Une super ambiance, savoure-t-il. J’ai découvert de nouvelles cultures, de nouvelles pratiques de cuisine. » En un mois, Christian a pu mesurer les différence­s d’un pays européen à l’autre. « La façon de travailler change, les horaires changent - 35 heures chez nous, 40 chez eux. Ils sont très rigoureux en matière de recyclage, de développem­ent durable », retient le jeune homme en costard-cravate. Il en retient « une expérience unique, qui m’a beaucoup enrichi, au niveau profession­nel et humain. » Christian envisage un autre stage à l’étranger, « au Japon en particulie­r. J’ai envie de parcourir le monde, découvrir de nouvelles cuisines. Et l’expérience Erasmus offre un avantage à mon CV. » Des lycéens en classe Erasmus. Et même des collégiens. Les Antibois du collège Fersen sont là pour en témoigner. Trois ans durant, ils ont planché sur le centenaire de la Grande Guerre, en lien avec leurs jeunes voisins européens. Une studieuse collaborat­ion couronnée par un séjour d’une semaine à l’étranger. « C’était super. On a vraiment communié avec tout le monde », s’enthousias­me Mathieu, 13 ans, parti à Liverpool. Ses camarades Léane, Iris, Mélissa et Eya, 14 ans, sont « ressorties grandies » de leur virée en Pologne. « On a pratiqué notre anglais, découvert d’autres cultures, visité le pays... Et on s’est fait des amis, avec qui on continue à communique­r sur les réseaux sociaux. C’était un voyage génial. Si on peut, on repart demain ! » Pascal Fournier, principal du collège Fersen, salue les progrès de ses jeunes protégés. « Sans cette expérience, ils n’auraient pas été aussi ouverts. Ça change les enfants, leur envie de découvrir, leur regard sur les autres. Travailler avec l’Angleterre, l’Allemagne ou la Turquie sur une thématique telle que la Première guerre mondiale, ça n’a pas été facile tous les jours ! La guerre, la mort... Ils ont découvert que l’Europe, c’était autre chose il y a cent ans. Et ça leur a fait du bien. » Erasmus, un plus pour les élèves. Mais aussi pour leurs profs. A Nice, dans le quartier de la gare Thiers, l’école Auber s’est inscrite à plein régime dans les programmes de

‘‘ mobilité destinés aux enseignant­s. Leur mission : « Aller voir ailleurs ce qui se fait, et rapporter des idées qui ont fait leurs preuves », témoigne Tiffany Clerc, 32 ans, enseignant­e en CP.

Apprendre la différence Tiffany a passé neuf jours en Irlande du Nord, à Belfast. En avril, elle repartira en Suède, à Stockholm, dans une école rompue à l’accueil des « primo-arrivants ». Un parallèle utile avec l’école Auber, dont les 330 élèves sont issus de 34 nationalit­és. « Dans une école multicultu­relle, on a besoin de pratiques différente­s, permettant d’enseigner à des enfants dont le français n’est pas forcément la langue maternelle. » Si Erasmus peut changer une vie ou un regard, il peut aussi « changer une méthode de fonctionne­ment, témoigne Tiffany. Désormais, je considère l’apprentiss­age des langues comme absolument primordial. Y compris pour leur apporter une ouverture au monde, et une culture multiple. Voyager, c’est s’enrichir de l’autre. » Pour pouvoir bénéficier de l’aide européenne, l’école Auber a dû forcer son destin. Elle s’est vue allouer une manne de 37 000 euros, pour deux ans, afin de financer douze séjours. « Certains ne saisissent pas cette chance ; ils ont tort, estime le directeur Eric Simonnet. C’est tous frais payés et très enrichissa­nt. » Yves Bailet confirme. A 37 ans, cet enseignant en CM2 est parti en Islande, puis en Suède. Au menu : l’outdoor education .Autrement dit, enseigner en se servant des éléments de la nature. « Il est prouvé qu’être acteur de son apprentiss­age permet d’être plus à l’écoute, justifie Yves Bailet. Apprendre à mesurer avec un bâton dans la forêt, c’est quand même plus ludique qu’avec une règle dans une salle de classe ! » Dans les couloirs de l’école niçoise, les photos de créations land’art des élèves attestent que la leçon a bien été apprise. Et que l’expérience des autres peut parfois s’exporter. « Profession­nellement, ça m’a enrichi. Et humainemen­t, l’apport est évident, salue Yves. Là-bas, on a organisé une soirée d’échange où chacun mettait en avant sa spécialité culinaire. On a donc ramené de la tapenade, fait de la socca... Tout ça dans une ambiance auberge espagnole. C’est ça, l’Europe ! »

Echange, respect, partage face à l’obscuranti­sme ” Voyager c’est s’enrichir de l’autre”

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 ?? (Photo Frantz Bouton) ?? Stéphanie la Française et Alexander l’Autrichien se sont rencontrés en Espagne il y a vingt ans. Etablis à Nice, ils ont donné le jour à trois « bébés Erasmus ».(
(Photo Frantz Bouton) Stéphanie la Française et Alexander l’Autrichien se sont rencontrés en Espagne il y a vingt ans. Etablis à Nice, ils ont donné le jour à trois « bébés Erasmus ».(

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