Nice-Matin (Cannes)

Une famille emmurée par son voisin à Nice-Ouest

Un conflit de voisinage contraint une famille à vivre sans accès, sans eau ni électricit­é, sur son terrain. Procès, menaces, plaintes : retour sur une histoire aux accents kafkaïens

- L.B. lbruyas@nicematin.fr

Kamel est allé chercher de l’eau. Deux gros bidons qu’il transbahut­e depuis le centre-ville où une associatio­n lui permet de se servir en eau potable. Sa longue silhouette, émaciée, claudicant­e, plie et ploie sous la charge. Pour rentrer chez lui, au 26 avenue Vittone, Kamel est contraint de faire le tour du quartier, d’entrer, avenue Matisse, dans une résidence dont il a récupéré le code, de traverser un grand parking. Puis, il faut encore grimper une petite butte de pelouse et se frayer un passage dans un trou ménagé dans la haie. Un long, un lourd détour… Kamel n’a pas le choix : son voisin a construit un mur qui l’empêche d’entrer chez lui. À chaque pas, l’homme usé pense à sa fille qui pourra se laver. Elle apprend à lire, il la protège comme il peut. À chaque pas, Kamel pense à son fils: il a 5 ans et il ne comprend pas pourquoi il ne peut pas inviter ses copains chez lui. Chez lui… une pauvre baraque de bois et de vitres, sans eau, ni électricit­é, une maison sans entrée, une maison sans existence. Chaque pas est un poignard, mais Kamel endure la marche et la honte. Il sait pourtant qu’il ne tiendra pas longtemps. «Un AVC, un accident de la route, tous ces problèmes », un jour il «ne pourra plus porter tout ça ». Il essaie de « rester debout pour les petits mais, c’est de plus en plus dur… »

Sa vie aux enchères

C’est l’histoire d’un mur de haine, un conflit de voisinage qui dégénère. « C’est l’histoire d’un homme à qui on ferme tous les possibles, l’histoire d’un homme, qui est chez lui et dans son droit, et qui vit claquemuré comme au Moyen-Âge.», plaide Me Myriam Leonetti, l’avocate de la famille Ben Slama. L’affaire commence en 1998. Kamel Ben Slama achète un terrain au 28, avenue Vittone. Artisan de métier, il y construit une belle maison. En 1999, il acquiert la parcelle mitoyenne au n° 26. Pour accéder à cette dernière, il faut passer par la première. Kamel « désenclave le terrain et créé une servitude de passage. Cette servitude est authentifi­ée dans l’acte notarié », certifie Me Leonetti. Quelques années plus tard, Kamel Ben Slama a de grosses difficulté­s financière­s. Il ne parvient plus à rembourser son crédit. La banque saisit sa maison qui est vendue à la barre en 2001. Neuf pièces, un grand jardin plat au calme et la vie de Kamel aux enchères… La maison est rachetée par monsieur R.(1) , un ami de Kamel, qui lui a promis de lui revendre le rez-dechaussée. « Ils étaient en relation de travail et originaire­s du même village », poursuit l’avocate. Quand la maison est vendue, « Kamel Ben Slama est effondré, mais il croit encore à l’ami ». Las, l’ami, qui avait signé un compromis pour le rez-de-chaussée, veut beaucoup plus d’argent. Le compromis tombe à l’eau. L’ami finit par louer à Kamel l’appartemen­t du bas de la maison. La moitié de son ancienne vie pour 1 000 euros par mois… Mais ça se passe mal. Kamel, sa femme, et les enfants se retranchen­t sur leur parcelle au n° 26, dont Kamel est resté propriétai­re. Ils essaient de reconstrui­re une vie. Une maison. Ils font une demande de permis de construire. Sauf que pour obtenir un avis favorable de l’Urbanisme, il faut avoir un accès. Et que cet accès, monsieur R. le conteste. Contre vents et marées. Contre les documents officiels. Contre ERDF et Veolia, auxquels il interdit l’accès au terrain de ses voisins. Kamel Ben Slama se retrouve isolé, acculé, reclus. Il construit en hâte une maison de bric et de broc sans eau ni électricit­é pour abriter sa famille.

Plaintes et lettre de délation

Les ennuis ne s’arrêtent pas là : le conflit avec monsieur R. s’envenime. Ce dernier attaque Kamel au tribunal, en référé, pour une histoire de voiture, pour une tranchée creusée sur la servitude de passage : il gagne. L’été dernier, en rentrant de vacances, Kamel et sa famille se heurtent à un mur. Un mur de parpaings que monsieur R. a fait construire pour barrer l’accès à leur maison. Depuis, les plaintes et les mains courantes se multiplien­t. Insultes, coups, menaces, délation aux services d’Urbanisme… La situation devient invivable. Pour trouver une issue, Me Myriam Leonetti a engagé une procédure de désengagem­ent judiciaire, sur le fond. Elle en fait une affaire de dignité.

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(Photo Franck Fernandes) En rentrant de vacances, l’été dernier, Kamel Ben Slama a trouvé un mur devant chez lui.

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