Nice-Matin (Cannes)

Zabou Breitman libère les contrastes d’émotions

Après avoir couvé sa création en résidence, notamment à Anthéa, l’artiste offre Logiquimpe­rturbabled­ufou, sur les planches du théâtre d’Antibes, qu’elle présentera mercredi et jeudi soir

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr

Douceurs et oxymores. Quand Zabou Breitman évoque sa création, l’artiste donne à voir une broderie. Un patchwork de matières à effleurer de la pulpe du doigt, du coin de l’oeil, du plus profond du coeur. C’est beau mais ça demande de piquer la base, de dénouer des pelotes laissées de côté, de glisser en douceur dans le chas de l’aiguille… Venue notamment en résidence à Anthéa, elle revient offrir son ouvrage sublimé de finitions. Une guipure ciselée, à la fois brute et délicate. Logiquimpe­rturbabled­ufou : à découvrir dès mercredi sur les planches du théâtre antibois.

Logiquimpe­rturbabled­ufou , on retient sa respiratio­n, on le dit vite : c’est le but recherché ?

C’est l’accumulati­on de divers moments, de différents états. On se retrouve à l’intérieur d’une institutio­n ou dans la tête de fous. Ils sont partout avec leur liberté dans la folie : dans Érasme et son Éloge de la Folie, dans Tchekhov, Shakespear­e, Lewis Carroll, dans l’incongruit­é, le surréalism­e… C’est le resserreme­nt : ça se précipite.

Vous aimez ça rendre l’improbable probable, non ?

Dans le spectacle il y a une fluidité apparente, on passe d’une chose à une autre avec une espèce de légèreté… Alors que derrière les comédiens courent comme des fous ! Les personnage­s sont drôles, fragilisés : ils peuvent passer d’un moment torride de mambo à un moment calme en une demi-seconde. Un « cut » lumière et on se retrouve comme devant la télé, on vient juste de zapper.

Un travail de rupture et d’urgence ?

De rupture permanente! Mais d’urgence pas forcément. Oui on prend son temps dans l’urgence, il y a toujours des moments flottants. C’est assez surprenant.

Comment avez-vous vécu la première à Avignon ?

Comme la suite de deux ans de travail. Comme on a accumulé les résidences on a pu évaluer le travail qu’on faisait au fur et à mesure. Quand les quatre comédiens sont arrivés sur scène le soir de la première, ils avaient tellement travaillé qu’ils étaient déjà impeccable­ment rodés. Ouais, super solides. On a travaillé chaque virgule, chaque sentiment, chaque moment de façon à ce que dans cette contrainte ils trouvent la liberté la plus légère possible pour aborder un thème plutôt lourd.

Là aussi le décalage !

Leur âge participe aussi au côté « fleurs des champs », c’est ce que dit le texte de Zouc d’ailleurs… Des petites fleurs des champs.

Et vous êtes la jardinière ?

Oui ! J’ai des plantes exquises, des plantes rares! Ce qu’ils font c’est incroyable… C’est dire, il y a des gens qui sont venus voir le spectacle quatre, cinq fois pour voir davantage de choses…

Ah oui ?

C’est quelque chose de tellement dense. On a besoin d’aller voir tous les détails, de se concentrer sur autre chose… Ce qui est génial c’est qu’il peut être joué de très loin dans les grandes salles qu’aussi bien de très près, parce qu’on voit tout le travail des expression­s.

Cela requiert de la constance !

Et c’est ça qui est le plus difficile. Quel que soit le personnage, quel que soit le moment du spectacle, l’énergie doit tout le temps être là. En fait, ils réinventen­t quelque chose d’ultra calibré. Le travail est monstrueux pour arriver à cela.

Avec l’ambivalenc­e entre force et fragilité…

C’est tout un travail sur le déséquilib­re puisque pour qu’il y ait cette fragilité il faut que les acteurs soient forts. Et qu’ils le soient sur l’infiniment petit. C’est très important je suis vraiment portée là-dessus. Les spectateur­s ne savent pas tout mais ils savent très bien… Ils sentent comment les acteurs possèdent le spectacle.

Avec sa dose d’émotion liée…

Dans une des scènes on voit un garçon et une fille assis sur le lit. Ils ne font rien, ils sont juste assis. Eh bien cela provoque le rire. Mais plus les spectateur­s évaluent le gouffre de tristesse, moins ils rient. C’est très beau. Je le sentais bien d’ailleurs en le créant. Ce qui est intéressan­t aussi ce sont les gens qui rient énormément : là, l’arrêt va être beaucoup plus brutal. Ils vont se dire : « Merde j’ai vachement ri… » C’est beau les contrastes d’émotions. Mais j’ai prévenu les comédiens : « Ne vous habituez pas trop aux réactions. » Selon les salles, le changement peut être radical. J’aime bien que ça ne soit pas évident. Que ça ne soit pas cousu de fil blanc. Mais cela demande d’être engagé complèteme­nt.

La folie a-t-elle une limite ?

Qu’est-ce qu’on définit comme folie ? Je parlais avec une aidesoigna­nte juste avant. Elle m’a raconté être entrée dans la chambre d’un patient bipolaire, il peint des choses extrêmemen­t belles, des choses sombres mais pas seulement… C’est ça qui est passionnan­t. Après on parle de ceux qui sont dangereux. Ou du fameux pétage de plomb, quand le verrou pète, quand on sort du code de manière dangereuse… Mais on peut aussi sortir du code d’une autre manière, de façon artistique.

‘‘ [silence ] Et puis on est toujours le fou de quelqu’un au final.

C’est aussi sortir du politiquem­ent correct…

Il y a des folies qui doivent être absolument traitées. Mais il y a les folies douces, il y a la contrainte aussi… Ca me fait penser à un exemple que j’adore d’ailleurs en parlant de sortir des codes. Au théâtre de Toulon, le petit garçon de  ans d’une personne qui y travaille est venu voir une répétition. Il a assisté à une scène où une jeune fille se retrouve en culotte, habillée d’un pull avec des oreilles de lapin immenses sur la tête et elle chante avec un ukulélé. La première chose que le petit garçon a dit à sa maman c’est : « T’as vu elle est pied nu la dame ! »[ rires] C’est merveilleu­x, c’est beau !

Il a tout compris !

Ce n’est pas ce qu’on regarde qui importe, mais c’est l’endroit d’où on le regarde. Ce petit garçon il raconte tout. Quand on a  ans, cette réflexion amuse les gens. Mais si on dit la même chose à  ans, les gens se disent : « Tiens il y a un problème… »Les artistes c’est ça : ils regardent ailleurs.

Logiquimpe­rturbabled­ufou c’est aussi de l’amour ?

C’est beaucoup de respect et d’amour. On voit un être humain. Quel qu’il soit. Le fou, oui. Mais l’aide-soignant ou le soignant aussi, même s’il est un peu rude. Parce que confronté à ses propres peurs. J’adore. Je ne suis pas à charge. J’aime proposer une petite porte. Quand je regarde tout ça je me dis : « Qu’est-ce que ça me fait rire ! »Etàlafois complèteme­nt pleurer. On aborde des choses tellement surréalist­es, et selon notre état on met la distance nécessaire pour les accepter dès que l’on est au théâtre.

Il faut se laisser faire !

C’est ça. Oui, il y a des salles qui ne vont pas rire – même si les comédiens apprécient cela, puisque le rire c’est la finesse et l’acceptatio­n. Et il y a deux trois personnes qui ne comprendro­nt pas tout. Mais sincèremen­t, les publics ils sont à fond ! Et il y a de tous les âges ! Même des très jeunes.

Ça vous touche ce mélange de génération­s ?

Ça m’émeut. Des gens jeunes qui viennent voir d’autres gens jeunes, je trouve ça génial, c’est stimulant, ça donne envie. D’ailleurs, à l’heure où je vous parle, je m’apprête à accueillir une classe d’élèves. Ils sont quatorze, je vais leur faire travailler deux scènes du spectacle. Le but c’est qu’ils comprennen­t qu’ils peuvent le faire tout seul ça : prendre la scène et la travailler. Juste leur dire : filmez votre famille, et repassez-vous la scène. Essayez de la rejouer. Et comprenez pourquoi à ce moment c’est juste ou ça ne l’est pas. Tout est là.

‘‘ En jardinière de plantes exquises ”

Les artistes ? Ils regardent ailleurs... ”

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