« Une bonne chose de libérer la parole »
Adélaïde reste optimiste. Elle est toujours sifflée dans la rue, croise encore des pères de famille, accompagnés de leur femme, plongeant avec insistance leur regard dans son décolleté. Mais elle veut y croire. Croire au fait que les mentalités peuvent changer face au harcèlement de rue. « Je ne sais pas si c’est parce qu’on s’y intéresse plus, mais j’ai l’impression que les langues se délient», confie-t-elle. Il y a seize mois, Adélaïde Albertini, jeune monitrice d’équitation de 23 ans – qui a désormais quitté Nice pour Roquebillière – a sur un coup de colère monté un groupe Facebook. C’était après ce soir du 14 juin 2016 et une flânerie seule sur la Promenade des Anglais en mode «jean, tee-shirt, bas- kets», en dégustant une glace.
« Viens ma belle, j’te paye » Un quadragénaire la suit alors, à vélo, avec des avances insistantes. Il renverse les rôles. « C’était pas lui qui me harcelait, il prétendait que c’était moi qui faisait du racolage », se souvient-elle. D’autres hommes la siffleront le même soir. « Être une femme, réduite à l’état de bétail, c’est humiliant.» Son coup de gueule et le groupe «Stop harcèlement de rue - Nice » qu’elle a créé sur Facebook dans la foulée a été très largement partagé – près de 8 000 fois – média- tisé, applaudi. Elle décou- vre alors que pas une femme n’a échappé un jour à ce genre de comportement. « J’ai reçu depuis près de 450 messages, quasiment tous positifs, me disant de continuer, me remerciant d’ouvrir le débat. » Quelques insultes aussi, même des menaces de viol ... Un comble. « Je préfère retenir ce jeune homme de 17 ans qui m’a écrit en me disant qu’il n’avait pas eu conscience que ce qu’il faisait était mal et qu’il allait changer.» Face à ce genre d’agression, Adélaïde avait pourtant opté jusqu’à ce soir de juin pour l’option tête basse. « Je traçais tout droit.» Elle se rappelle aussi de ce chauffeur de taxi qui avait ouvert sa portière pour lui lancer un: «Allez viens ma belle, j’te paye ! ». « Maintenant je ne me laisse plus faire, je gueule, je monte le ton, ça surprend et cela fait déguerpir le type. En revanche, quand je sors dans le Vieux-Nice, je me fais toujours raccompagner au parking par quelqu’un, et j’ai une bombe lacrymo dans mon sac. Au cas où. » Adélaïde a regardé le scandale Weinstein avec intérêt, ainsi que le hashtag viral apparu ce week-end sur les réseaux sociaux : #BalanceTonporc. Si elle cautionne cette prise de parole collective, elle n’en reste pas moins mesurée. «Je suis d’accord avec le principe de dénoncer ce genre de faits. Mais c’est devant un policier qu’il faut les déballer, c’est ce qu’il y a de plus efficace. » Assistance juridique, soutien psychologique, information préalable... Telles sont les missions du centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF). Dans les Alpes-Maritimes, cette association à but non lucratif, financée par l’Etat et les collectivités, est spécialisée dans les violences faites aux femmes. « Parce qu’il y a un vrai besoin sur ces questions-là, ici », explique Frédérique Grégoire, sa présidente départementale. Après l’affaire Weinstein, Frédérique Grégoire espère voir affluer de nouveaux témoignages. « Plus la parole se libère dans la société, plus nous allons en recevoir. Mais depuis toujours, des femmes se présentent à nous comme victimes de harcèlement, notamment dans le milieu du travail. On entend des réflexions comme : “Je ne sais pas si je vais vous donner le poste parce que vous êtes une femme”, ou encore : “C’est pas mal si tu as ce poste, je pourrai regarder tes cuisses tous les jours.” Tout un tas de propos sexistes, sans aller jusqu’à l’agression, peuvent être vécus comme une pré-agression par certaines personnes. »
Sexisme ordinaire
Face à ce qu’elle nomme le « sexisme ordinaire », mais surtout face aux violences, Frédérique Grégoire le consate : « Venir nous voir n’est jamais une démarche facile. En général, il y a eu plusieurs avertissements avant. » Un exercice d’autant plus délicat qu’en la matière, la preuve reste compliquée à apporter : « Si on accuse nommément quelqu’un, il faut avoir les reins solides pour éviter le retour de bambou de la dénonciation calomnieuse. » Pour autant, elle salue l’opération transparence en cours. «Toutce qui libère la parole est une bonne chose. Surtout, cela permet à tout un public de réaliser que ces situations ne sont pas normales et méritent d’être dénoncées ! »
Contacts : .... https://www.cidff.org/