À quel sein se vouer? Psycho « Le bébé évolue dans un environnement structurant avec plusieurs adultes référents. »
Médecins, psychologues... 200 professionnels se sont rassemblés lors d’un colloque, organisé avec la clinique Santa Maria à Nice, pour évoquer la subjectivité de l’enfant
Les chercheurs et professionnels niçois de la psychologie et de la psychanalyse ont organisé, la semaine dernière, un passionnant colloque sur « la subjectivité du bébé ». Une thématique complexe qui s’intéresse au tout petit enfant (de sa conception jusqu’à 3-4 ans), y compris depuis la prématurité. « Ce n’est pas un sujet très approfondi, c’est la raison pour laquelle il nous apparaissait intéressant de l’aborder. De plus, il est en lien avec l’évolution de la société », résume le psychanalyste Serge Lesourd, co-organisateur. « Car le statut de l’enfant, celui des familles ont énormément changé ces dernières années. Les grands travaux sur l’enfant s’inscrivaient dans un autre contexte. On n’accueille plus le bébé de la même manière qu’il y a 20 ou 30 ans. » Virginie Jacob-Alby, également psychanalyste et co-organisatrice (avec aussi Nathalie Vesely) détaille : « Actuellement, la parentalité apparaît comme une notion plurielle et complexe. Il n’y a plus un type de parentalité. Cette évolution a commencé avec les recompositions des familles et s’est beaucoup accélérée avec les progrès de la science et de la PMA [Procréation médicalement assistée, ndlr]. Les modes de procréation ont évolué. Les manières d’éduquer aussi ». Ils étaient près de 200 participants, médecins, professionnels de la petite enfance, psychologues, étudiants à prendre part à ces travaux. Parce que tous ceux qui sont amenés à rencontrer le jeune enfant sont concernés par ces thématiques.
La fonction paternelle n’est pas forcément liée au père
Les professionnels ont travaillé sur des notions qui se sont métamorphosées. Désormais, ils parlent d’environnement maternel et plus seulement de mère. « Donald Winnicott [pédiatre, psychiatre et psychanalyste britannique ndlr] disait déjà qu’un bébé sans environnement maternel, ça n’existe pas. Il faut certes prendre en compte sa singularité, ses capacités, ses compétences mais aussi la singularité de son environnement. Et le bébé n’évolue pas qu’au contact de sa maman, mais d’un environnement structurant dans lequel on trouve la fonction maternelle ET la fonction paternelle », indique Serge Lesourd. Virginie Jacob-Alby expose sa théorie, dans la droite ligne des travaux de Raphaële Noël, professeure au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal, sur la parentalité psychique : « L’idée est que la fonction parentale n’est pas liée à un individu spécifiquement. Si la fonction maternelle est quasiment toujours endossée par la maman, celle qui a porté le bébé, qui est maternante, la fonction paternelle qui consiste à ouvrir l’enfant au monde, à introduire l’idée qu’une ou des tierces personnes participent à l’éducation, n’est pas nécessairement assumée par le père. Elle peut l’être par un autre membre de la famille, une compagne, un ami. » Pour la psychanalyste niçoise, il est donc incorrect de dire qu’un enfant vivant au sein d’un couple formé par deux femmes a deux mamans. « Non. Il a une maman – le plus souvent, celle qui l’a porté parce qu’il y a une transmission inconsciente et affective in utero. L’autre femme endosse la fonction tierce souvent dite paternelle. Ce sont des rôles différents mais complémentaires. Ce qui est dangereux pour l’enfant c’est d’être enfermé dans un rapport duel mère-enfant sans tierce personne. Il est impératif
Virginie Jacob-Alby et Serge Lesourd
Psychanalystes organisateurs du colloque
que le bébé évolue avec d’autres adultes référents que sa mère.»
Pas de schéma familial type
Familles classiques, monoparentales, homoparentales, recomposées... Il n’y a désormais plus de schéma familial immuable. L’arrivée d’un nouveau-né ne se déroule donc pas toujours dans le même contexte. Cependant, des constantes ressortent : « On remarque que les parents d’aujoud’hui semblent un peu perdus, ont peur de mal faire », constate Éléonore Brocq, jeune diplômée de psychologie, membre du comité d’organisation du colloque. Or cela peut conduire à des erreurs. Pourtant, « il est fondamental de comprendre que quoique l’on fasse, ça ne sera jamais parfait. On doit faire aussi bien que possible tout en sachant que bien, ce n’est pas possible ! », assure Serge Lesourd. Avec les problèmes liés à la fertilité, les parcours sont parfois longs et complexes pour parvenir à fonder une famille. Ainsi, il peut arriver que le bébé, attendu pendant des années, soit surinvesti. « Le danger tient dans le fait que l’enfant, qui a été désiré à tout prix, prenne une valeur trop cruciale et qu’il oriente le désir des parents », analyse Virginie Jacob-Alby. Pour autant, elle insiste sur le fait que « ce n’est pas tant le mode de procréation que la façon dont l’enfant est accompagné pour bien grandir qui compte ». Ainsi, on peut désirer et attendre un bébé de longues années sans pour autant commettre des erreurs, le tout étant que l’enfant ne soit pas le seul objet d’amour de ses parents qui doivent continuer à s’occuper l’un de l’autre.
Pourquoi les parents sont-ils aussi chamboulés ? Parce qu’ils passent leur temps à se demander s’ils sont de bons parents. « On le voit dans les limites qu’ils n’osent plus poser. Or l’enfant a besoin d’être encadré, ça le sécurise et le structure », note Éléonore Brocq. Le règne de l’enfant-roi fait ainsi des ravages dans les foyers où le bambin domine.« Ce n’est pourtant pas salutaire de laisser l’enfant décider. Car cela ne signifie pas lui offrir de l’autonomie mais plutôt de la solitude. Être seul décideur, c’est très angoissant », indique Serge Lesourd. Quand faut-il donc faire appel à un psy pour y voir plus clair ? « Lorsqu’arrive un moment perturbant : l’enfant a des problèmes de sommeil, rechigne sur la nourriture... C’est quand les parents commencent à se poser des questions qu’ils peuvent envisager de consulter, indique le psychanalyste. Je n’ai jamais senti les parents aussi fragiles qu’aujourd’hui. Ils se sentent seuls face à la multitude d’informations, de conseils qu’ils peuvent trouver sur la manière d’élever un enfant. Ils ne savent plus à quel sein se vouer ! »