Nice-Matin (Cannes)

Avec son épicerie ambulante, il fait bouger le haut-pays

A 32 ans, Renato a relevé un défi : amener une épicerie dans des villages où les commerces ont fermé. De l’Estéron au haut-Var les habitants guettent son camion avec impatience

- SOPHIE CASALS scasals@nicematin.fr

La Penne. Un village de 250 habitants au bout de la vallée de l’Estéron. A plus d’une heure de Nice. Il flotte aujourd’hui un air de fête sur la place de la mairie. C’est le jour de passage de l’épicier ambulant. « Bonjour Renato, tu as mes blettes pour les raviolis ? » Philippe, barbe et embonpoint de père Noël, récupère sa cagette. Comme chaque jeudi, cet habitant de l’Estéron vient au camion. « Il n’y avait plus rien ici, alors, quand on a la chance d’avoir un jeune qui se lance, il faut jouer le jeu. » Il en sait quelque chose Philippe. Fils de boulanger de Sigale, il a vu les commerces fermer les uns après les autres dans son village. « Avant les années 60, il y avait peu de voitures, alors les gens achetaient sur place, puis, petit à petit ils ont commencé à aller faire leurs courses en bas, dans les grandes surfaces. » Faute de clients, boulanger, boucher, épicier ont fermé. A La Penne, Saint-Antonin, Entraunes... même scénario.

Six villages desservis par sa tournée

Alors, Renato Carbone, 32 ans, a choisi de relever un défi. Devenir épicier ambulant pour répondre aux besoins des habitants les plus isolés. Et miser sur les produits du haut pays. Dans sa vie d’avant, le jeune homme, originaire de Gattières, travaillai­t dans la restaurati­on. En cuisine. « J’ai eu envie d’être au contact des autres, de bouger. » Mais avant de se lancer, Renato a d’abord pris le temps d’analyser les attentes des habitants. « On a préparé des questionna­ires, pour cibler leurs besoins: les produits recherchés, les jours et les heures de tournée… » Avec un petit crédit, il achète un « vieux camion ». « Les banques n’ont pas voulu suivre. Si j’avais obtenu davantage, j’aurais pu avoir un fourgon plus moderne. » Pas de direction assistée, des pannes à répétition… son estafette lui joue des tours. Heureuseme­nt que Renato, mécano à ses heures, s’y connaît en mécanique. Depuis décembre, il sillonne le haut-pays, au départ de Villarssur-Var. Parcourt plus de 2 000 km par mois pour desservir cinq villages de l’Estéron en semaine, et Entraunes, dans la haute vallée du Var, le samedi. « Il faut deux heures pour y aller, » glisse-t-il. Un peu plus quand la météo s’en mêle. « On s’est retrouvé coincés dans la neige l’hiver dernier. » Il sourit. Aujourd’hui, un soleil radieux inonde le clocher de La Penne. Les clients se pressent à « l’Epicerie d’aqui d’aia ». Des étudiants en géologie achètent jambon et fromage pour se préparer un cassecroût­e. Ils croisent André Daumas. Dédé pour les intimes. Cet habitué remplit son panier de courses et en profite pour tailler la bavette.

« Ça amène de la vie au village »

« On apprécie Renato, notre épicier. Depuis qu’il vient ça nous évite de descendre à Puget-Théniers, parce qu’ici il n’y a rien. Et puis, c’est convivial. Les habitants se retrouvent au camion, on discute: ça amène de la vie au village. Il faut que les gens lui achètent quelque chose, pour qu’il continue de passer à La Penne. » Un petit coup de klaxon l’interrompt. « Tiens c’est Tiphanie, notre fermière ! » La jeune femme vient livrer ses oeufs frais à l’épicier. Car les produits du pays sont à l’honneur dans l’épicerie ambulante. Renato a choisi de jouer la carte du local: oeufs de La Penne, fromages de Saint-Antonin, charcuteri­es Pons de Pierrefeu… « C’est un débouché intéressan­t pour nos produits, et ça m’évite de faire des kilomètres », commente Tiphanie qui apprécie ce service de proximité. Tout en déchargean­t ses boîtes d’oeufs, elle raconte son parcours. « Nous avons créé un élevage de volailles en plein air, il y a 5 ans. Je suis une fille de la terre, mes parents sont horticulte­urs dans l’Essone. » Elle a quitté sa région pour s’installer avec son mari, Niçois, au fin fond de la vallée de l’Estéron. A trois km en contrebas du village de La Penne. « Ça marche bien. Nous avons commencé avec de la volaille vivante et des oeufs, puis nous avons aménagé un atelier pour l’abattage. Bon, j’y vais, je dois filer à Nice pour une livraison.» C’est aussi l’heure du départ pour Renato. En deux temps trois mouvements, il range son étal de fruits et légumes. Ferme l’auvent du camion. Et reprend la route. Direction Saint-Antonin : le village juste en face, dans la vallée. Après une demi-heure de route étroite et sinueuse, il arrive à destinatio­n. Attendu de pied ferme par ses clientes. « L’épicier c’est du bonheur, » commente Jocelyne. Elle parle de son village avec des étoiles plein les yeux : « C’est le berceau de ma famille, j’ai Saint-Antonin dans les entrailles. » Et elle est ravie que Renato ait choisi son village comme étape de sa tournée d’épicier. Panisses, tripes à la niçoise, oeufs frais. Son panier rempli, elle remonte chez elle. Pas sans nous avoir lancé : « Avant de repartir montez jusqu’à la table d’orientatio­n, vous verrez c’est sublime ! » On laisse Renato avec ses clientes. Le vent se lève. Demain, l’épicier fera étape à Pierrefeu et Sigale. Il finira tard. « On arrive en début de soirée à Sigale, à la demande des jeunes qui rentrent du travail. » Alors, que souhaiter de plus à son épicerie ambulante? « Un nouveau camion et des clients qui jouent le jeu, répond-il dans un large sourire. Qu’ils comprennen­t que ce sont les paysans qui font tourner le haut pays et pas les grandes surfaces. » Retrouvez- notre reportage vidéo sur nicematin.com

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(Photos Philippe Bertini) Renato Carbone,  ans, a changé de vie «pour être au contact des autres.»

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