Un peu d’histoire avec notre rubrique « Résurgences » 5
Retrouvez chaque samedi notre nouvelle rubrique « Résurgences ». Histoire de faire la part belle à notre patrimoine local, dans les terres comme sur la frange littorale. Patrimoine historique si riche et souvent trop bien caché. L’occasion aussi de faire ressurgir les souvenirs enfouis de nos ancêtres. Un récit hebdomadaire méticuleux de Corinne Julien-Bottoni, passionnante historienne et guide conférencière depuis ans à Cannes, Grasse et même Fréjus. Un rendez-vous agrémenté de clichés anciens présentés en miroir avec une photo du site actuel.
Au Moyen-Âge, les rues portent souvent le nom de l’activité qui s’y déroule. Les grandes villes médiévales de l’époque comptent toutes, intra-muros, une rue de la Boucherie, de la Poissonnerie ou une place du Marché. Qui d’entre-nous ne s’est pas aventuré dans une ruelle des Tanneurs, des Orfèvres, des Mégissiers et autres drapiers ? Parfois, l’existence d’une congrégation religieuse détermine la toponymie de la voie. La rue de la Boucherie, pentue et tortueuse, évoque le masel médiéval. En latin, le terme macellum signifie tuerie. Si, sous l’Ancien-Régime, cette appellation ancienne n’est plus employée, la boucherie désigne toujours un lieu d’abattage. Au XIIIe siècle, à Cannes comme dans la plupart des cités commerçantes de l’époque, les bouchers forment un important métier. On ne parle pas encore de corporation. Les chevillards et autres écorcheurs se regroupent en un lieu bien défini où ils abattent, dépècent et vendent la viande aux habitants. Le marché de la viande se tient en divers points de la rue et sur un petit espace en amont. Il s’agit d’un véritable abattoir à ciel ouvert. Les carcasses sont cassées sur place. Une fois préparées, les différents morceaux de viande sont vendus aux clients. Très souvent, les chalands achètent des salaisons qui se conservent mieux. Le citadin aisé consomme alors une grande quantité de produits carnés. Une habitude qui explique la multitude de bouchers installés alors intra-muros.
Statuts bien définis et contrôles réguliers
Les négociants en viandes constituent un groupe à la fois uni et marginal. A Cannes, comme dans toutes les cités au commerce florissant, les chevillards s’avèrent organisés et puissants. Dès le XIIIe siècle, la ville fixe leurs statuts avec précision. Ces règlements sont repris et augmentés, en fonction de l’évolution économique de la ville. Des contrôleurs, appelés retardateurs surveillent étroitement les détaillants. L’exercice de la profession semble très réglementé : les bouchers ne doivent tuer que sur des emplacements bien définis, ne pas garder de bête morte chez eux et ne pas acquérir d’animaux malades. La viande de porc est proposée comme chair fraîche, uniquement le jour d’abattage et le lendemain. Ensuite, il faut impérativement la saler. Il est aussi interdit de mêler entre elles, des viandes de qualités différentes. Quant au commerce du gibier, seuls les chasseurs et autres revendeurs ont le droit de l’exercer.
La pollution des caniveaux
En cas de pollution, les mégissiers, peaussiers et autres chevillards sont aussitôt désignés. Les édiles essaient toujours, avec plus ou moins de succès, d’éloigner les bouchers du centreville. Sans doute, parce qu’ils restent en contact permanent avec le sang et qu’ils détiennent des couteaux acérés, les chevillards sont à la fois redoutés et honnis. Souvent, en plus du commerce de la viande, ils tiennent aussi celui du sel et du cuir. La population les craint car leurs outils tranchants peuvent, en cas de conflit, se transformer en armes redoutables. Au fil du temps, pour d’évidentes raisons d’hygiène, les municipalités décident de construire des abattoirs extra-muros. Le transfert de l’ancienne Boucherie se fait dans un premier temps, en contrebas du Suquet, sur l’actuel boulevard Jean-Hibert. Au cours du XIXe siècle, un abattoir plus vaste est érigé à la Bocca. Le centre-ville se trouve enfin libéré de l’ancien masel, devenu incompatible avec l’envolée touristique de la cité.