Nice-Matin (Cannes)

Terroriste­s mais pas complices :

décryptage d’un verdict complexe

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Le procès Merah était celui de cette nouvelle forme de terrorisme qui a commencé à frapper la France il y a désormais cinq ans. Depuis la tuerie de Toulouse, les attentats se sont succédé, allongeant la liste des victimes du fanatisme religieux. D’autres procès viendront. Dans quelques années, c’est le tueur au camion de Nice que l’on jugera, ou plus exactement ses présumés complices. Car ces opérations suicide rendent bien difficile l’oeuvre de justice qui, seule, pourrait apaiser un tant soit peu les parties civiles et l’opinion publique. Les vives réactions qui ont suivi l’énoncé du verdict rendu, ce jeudi, par la cour d’assises spéciale de Paris dans l’affaire Merah témoignent de cette frustratio­n.

Faute de preuves Car c’est un jugement en demi-teinte qui a été rendu. Un verdict qui ne satisfait réellement personne. Il y aura d’ailleurs un deuxième procès Merah. Mais l’instructio­n, elle, est bel et bien close. Et ce nouveau procès risque de se heurter à la même insuffisan­ce de preuve. Cellelà même qui a conduit les juges à ne pas retenir la complicité d’Abdelkader Merah dans les meurtres et tentatives d’homicides perpétrés par son frère. Il était pourtant poursuivi pour cela. Mais le fait est que «Mohamed Merah a toujours été seul au moment de la réalisatio­n des crimes», soulignent les juges dans le verdict. Faute de «démontrer l’existence d’une aide ou assistance, apportée en connaissan­ce de cause, par Abdelkader Merah, à son frère» le doute doit «lui profiter». C’est l’un des principes de base de notre système judiciaire, et même l’un des fondements de tout régime démocratiq­ue. Y déroger reviendrai­t à faire gagner le terrorisme, selon Me Eric Dupond-Moretti, qui n’a pas manqué de le rappeler au micro de France Inter : « Ce qui distingue la barbarie de la civilisati­on, c’est la règle de droit. »

Coup de billard à trois bandes Pour autant, l’opinion publique aurait-elle pu accepter de voir Abdelkader Merah ressortir libre ? Ce n’est pas le cas. Tout en écartant sa complicité, la cour a décidé de le condamner pour associatio­n de malfaiteur­s. En droit, cette incriminat­ion repose sur le simple fait de se regrouper en vue de commettre un délit ou un crime. Reste à savoir lequel. En l’occurrence, l’accusé a été acquitté de ceux qui étaient jugés: les assassinat­s et tentatives de meurtres perpétrés par Mohamed Merah. Pour cela, les juges se sont appuyés, par un jeu de culpabilit­é à trois bandes, sur le vol du scooter qui a servi aux attentats. Abdelkader était au côté de son frère, même s’il affirme ne pas y avoir participé. Cela a suffi à fonder l’associatio­n de malfaiteur­s, mais pour un délit de droit commun qui ne relève en rien des assises et encore moins de la cour spéciale. Si ce n’est que, dans leurs motivation­s, les magistrats rappellent que l’accusé a luimême «déclaré qu’il se doutait que son frère allait faire “des conneries avec” soit “des braquages de stations-service, des vols, des agressions”...» Et si Mohamed Merah avait «besoin de faire des coups», c’était pour «secourir la cause de Dieu» et donc financer son djihad. Voilà comment les juges passent d’un vol de scooter à une associatio­n de malfaiteur­s dans un but terroriste pour laquelle Abdelkader Merah a écopé de la peine maximale : 20 ans.

■ De Toulouse à Nice, la question de la complicité idéologiqu­e Il faut dire que l’attitude dans le box d’Abdelkader Merah n’incitait pas à la clémence. Pour lui, l’oeuvre barbare de son frère est un «cadeau» dont il se dit «fier». Du coup, une complicité idéologiqu­e, bien réelle celle-là, semble unir les deux hommes. Tous deux adhéraient aux mêmes thèses religieuse­s. Même si, là encore, la cour n’a pu démontrer le rôle de mentor d’Abdelkader dans la radicalisa­tion de son petit frère. Il n’empêche que les deux hommes partageaie­nt la même fascinatio­n pour Ben Laden et son organisati­on. Un endoctrine­ment qui a conduit le plus jeune des deux à passer à l’acte et le second à répondre de ces mêmes crimes devant la justice. Mais celle-ci peut-elle entrer en voie de condamnati­on sur la base de cette seule complicité idéologiqu­e? La question risque à nouveau de se poser lorsque sera venu le temps de se pencher judiciaire­ment sur l’attentat au camion de Nice et sur les responsabi­lités pénales des neuf personnes aujourd’hui mises en examen dans le cadre de cette autre tuerie. Car, cette fois encore, il faudra démontrer que les complices présumés de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel connaissai­ent ses funestes plans. Et «c’est bien toute la difficulté de ce genre de dossiers où la recherche de la preuve est d’une très grande complexité», rappelle Me Philippe Soussi, avocat de victimes dans les deux affaires.

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