“Résurgences” : l’histoire du palace Carlton
Retrouvez chaque samedi notre nouvelle rubrique «Résurgences». Histoire de faire la part belle à notre patrimoine local, dans les terres comme sur le littoral. Patrimoine historique si riche et souvent trop bien caché. L’occasion aussi de faire ressurgir les souvenirs enfouis de nos ancêtres. Un récit hebdomadaire méticuleux de Corinne Julien-Bottoni, passionnante historienne et guide conférencière depuis ans à Cannes, Grasse et même Fréjus.
Sous la Monarchie de Juillet, plusieurs villes du bord de mer se transforment. Les cités balnéaires se dotent alors d’un ou plusieurs palaces pour accueillir des personnalités royales et artistiques. Aménagée en 1868, la Croisette devient un emplacement idoine pour la construction de luxueux hôtels, tous dévolus au gotha de l’époque. L’hôtel Carlton est l’un des plus grands palaces construits au XXe siècle. Henri Ruhl, propriétaire d’un groupe hôtelier et fondateur du Casino-Jetée s’adresse à deux architectes émérites pour réaliser l’immense chantier prévu : Charles Dumas de Nice et Marcelin Mayer de Cannes. Erigé en deux étapes, de 1909 à 1913, le palace offre une façade de près de cent mètres en front de mer. Les deux ailes attenantes s’étirent sur une cinquantaine de mètres chacune. Le traitement façon brique et pierre, le dessin des dômes et les toits traduisent sa formation classique et sa sensibilité à l’architecture française. Ce même trait se lit dans l’agencement du grand hall. En revanche, les tons ocre, la décoration, les frises, les feuilles d’olivier et de laurier, évoquent la tradition niçoise. Les angles, surmontés de dômes coniques, dominent la Croisette. L’enduit est bicolore en fausse pierre, avec un décor moulé en ciment.
Un décor baroque et emphatique
Durant le premier conflit mondial, l’hôtel est partiellement transformé en hôpital. En 1922, l’édifice accueille les souverains et chefs d’Etat qui participent à la Conférence Internationale de la Paix. Depuis 1946, date de la création du festival de Cannes, le Carlton est lié au monde du cinéma. Le bâtiment a connu quelques changements et modernisations. En 1988, un étage supplémentaire a été aménagé dans les combles. Apparu à l’apogée de l’Art Nouveau et de la Belle Epoque, l’édifice illustre tout à fait le style de l’architecte niçois. Néanmoins, plusieurs pièces ont conservé leur décor originel, notamment la salle à manger de style Napoléon-III. Cet immense espace offre un décor fastueux : plafonds en stuc, dorures et colonnes en marbre surmontées de chapiteaux. Hormis le mobilier, le cadre est resté immuable. Depuis le début du siècle dernier, une brigade composée d’une quarantaine de personnes s’affère dans les cuisines de l’établissement. Cuisiniers, pâtissiers, sauciers, sommeliers et autres plongeurs gravitent autour du chef, le personnage emblématique du lieu. Une ancienne réclame, parue dans le guide touristique de 1929, décrit le Carlton qui compte alors quatre cents chambres et sept tennis, comme un symbole du luxe et de la perfection et le centre de la vie mondaine. Depuis 1989, le Carlton est inscrit sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.