Nice-Matin (Cannes)

Écologie : J. Attali tire la sonnette d’alarme

S’il n’est pas trop tard, il y a urgence. Dans son dernier ouvrage, l’écrivain et économiste, converti à l’écologie, tire la sonnette d’alarme sur l’impérieuse nécessité de protéger la mer

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Proche collaborat­eur du président François Mitterrand pendant 20 ans, Jacques Attali a également été consulté par Nicolas Sarkozy et François Hollande. Notamment sur les questions économique­s. Une économie au coeur de laquelle il place la mer, sujet unique de son dernier ouvrage Histoires de la mer, paru aux éditions Fayard. Entretien avec un homme d’influence converti à l’écologie.

En début de semaine, l’ONU a annoncé que l’objectif de limiter la hausse des températur­es à ° ne serait pas atteint. Une réaction ?

Je trouve extrêmemen­t imprudent de dire ça. Ça peut décourager les gens d’agir. Je ne crois pas du tout au bien fondé de cette déclaratio­n. Je pense au contraire que cet objectif reste encore tout à fait accessible. On peut même imaginer inverser la tendance si on agit efficaceme­nt. C’est une question de volonté. Dire qu’il est trop tard pour respecter l’objectif des  degrés, c’est comme dire à des footballeu­rs qui rentrent sur le terrain que le match est perdu d’avance. Ça n’a pas de sens. Et puis cette hausse des températur­es ne présente pas que des aspects négatifs. Cela va ouvrir de nouvelles voies maritimes plus courtes, donc plus économes en énergie, jusque-là inexploita­bles, ou encore libérer de grandes surfaces cultivable­s en Chine, en Russie ou au Canada.

Vous êtes donc moins pessimiste que votre livre ne le laisse penser.

Mais je ne suis pas du tout pessimiste dans ce livre. Au contraire, je dis que tout est encore possible. D’ailleurs, il y a tout un chapitre à la fin de l’ouvrage consacré à ce qu’il est possible de faire pour sauver la mer, donc la planète et l’humanité. Si on ne fait rien, ce sera un désastre. Mais seulement si on ne fait rien.

Un seul chapitre de solutions… Pour le reste, le constat est très noir. Vous écrivez même « la mer

que l’humanité a commencé à détruire et qui détruira l’humanité ». C’est un livre d’histoire, donc forcément la partie historique est lourde. Les menaces y occupent une part conséquent­e. Mais l’importance d’un livre ne se mesure pas au nombre de pages consacrées à tel ou tel sujet. Le dernier chapitre consacré à ce qu’on peut faire montre que je ne suis ni optimiste, ni pessimiste. Je suis positif. Je pense qu’on peut, comme au foot, gagner le match. À condition de mener une stratégie extrêmemen­t ambitieuse.

Vous croyez donc encore au génie de l’homme pour surmonter ces obstacles ?

Sinon à quoi bon mettre des enfants au monde, faire leur éducation, se préoccuper de leur santé. Mieux vaudrait proposer un suicide collectif de l’humanité. Ça ferait gagner du temps.

Plus sérieuseme­nt, à quand remonte cette prise de conscience de la nécessité de protéger la mer ?

Il y a longtemps que j’écris là-dessus. De façon plus partielle certes. Dans Une brève histoire de l’avenir en , j’évoque par exemple l’importance des ports comme centres de l’économie mondiale. J’ai écrit dans L’homme nomade sur l’importance du mouvement comparé à la sédentarit­é. Ça fait au moins  ou  ans que la mer est essentiell­e à mes yeux. Cette écologie que vous mettez en avant est-elle compatible avec les idées libérales que l’on vous prête ? Je suis favorable à une gouvernanc­e mondiale. Je suis favorable à un certain nombre de mesures très impérieuse­s d’éducation en matière de consommati­on, de production. Quant aux idées dont vous me parlez, je ne

‘‘ considère pas qu’être libéral est une insulte. Je n’aime pas les caricature­s qui réduisent la pensée de quelqu’un à un seul mot.

Alors que la France possède le e espace maritime au monde, elle reste une nation tournée vers la terre. Comment expliquer son incapacité à devenir une grande puissance maritime ?

C’est bien l’un des fils conducteur­s de ce livre dans sa partie historique. À huit reprises la France a tenté de devenir une puissance maritime. En vain. Je pense qu’une des vraies raisons pour lesquelles la France a échoué, c’est qu’elle a été et reste un pays agricole très riche et qu’elle n’a donc pas eu besoin de la mer. Elle a considéré la mer comme trop risquée, trop dangereuse. C’est la raison pour laquelle, quand on a fait les départemen­ts, on n’a pas installé les chefs-lieux dans les ports. Si les huit tentatives françaises ont échoué c’est qu’il est plus facile d’être une nation riche agricole qu’autre chose. Vous regrettez l’absence d’un grand ministère de la mer comme sous François Mitterrand ? Je pense effectivem­ent qu’il est important d’avoir une politique de la mer. Est-ce que ça doit s’incarner dans un ministère ? Je ne sais pas. Le plus important est d’avoir une politique globale de la mer. Pour moi, il existe deux sujets parmi d’autres, qui réclament une vraie politique qui reste à définir : la francophon­ie et la mer.

Un exemple pour rendre la France maritime plus puissante ? Dans la mise en oeuvre d’une vraie politique maritime, il est primordial de réunir plus clairement Paris avec Le Havre et Marseille-Toulon avec Lyon. Il faut prendre conscience que ces ports sont la clé du développem­ent. Dans mon livre, il y a tout un passage où j’explique ce qu’il faut faire en matière de concentrat­ion de moyens sur l’axe Seine et sur la vallée du Rhône. Il est absurde que nos deux villes principale­s – Paris et Lyon – soient au milieu de nulle part, alors que dans tous les autres grands pays elles sont au bord de la mer.

Vous évoquez également le drame du flux migratoire. Comment y mettre un terme ?

On ne pourra jamais accueillir des centaines de milliers, des millions de gens, qui pourraient avoir envie de venir si leurs pays ne se développai­ent pas. C’est donc dans le développem­ent de ces pays, et plus particuliè­rement ceux du Sahel, que se situe la solution. C’est notre intérêt que de les aider à se développer. Sinon la Méditerran­ée va mourir. Plus personne ne voudra aller en bateau de croisière ou de commerce sur une mer qui sera envahie de bateaux de migrants.

En présentant Emmanuel Macron à François Hollande vous avez fait entrer le ver dans le fruit socialiste.

Je récuse totalement votre image du ver dans le fruit. J’ai, parmi d’autres, reconnu un talent et Emmanuel Macron serait devenu Président de la République sans moi.

Comment jugez-vous les six premiers mois de la présidence Macron ?

Puisque ma fondation s’appelle Positive Planet, je vais employer le même mot. Je trouve ces premiers mois de présidence globalemen­t très positifs. Même si je suis très impatient de voir beaucoup d’autres réformes, en particulie­r en matière sociale, éducative et d’emploi. Je dis souvent l’importance que j’attache à la formation profession­nelle et à la justice sociale.

Macron serait devenu Président sans moi ” Les ports sont la clé du développem­ent ”

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(Photo DR)

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