Nice-Matin (Cannes)

 : les Russes blancs

Il y a cent ans, la Révolution d’Octobre éclatait. Les soviets renversaie­nt l’Empire russe, lançant sur les routes des millions d’émigrés, souvent fortunés.

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Il y a cent ans, le 7 novembre 1917, se produisait en Russie ce cataclysme historique qu’on a appelé la Révolution d’Octobre. Dans le calendrier en usage en Russie, notre 7 novembre était en effet le 25 octobre. Lénine, Trotsky et le congrès des soviets prenaient le pouvoir. La Russie devenait le premier régime communiste de l’Histoire. Deux millions de Russes allaient être poussés à l’exil. On les a appelés « Russes blancs », par opposition à l’ « Armée rouge » des communiste­s. Ils comprenaie­nt d’anciens aristocrat­es de la cour du tsar, des militaires combattant les bolcheviks, des opposants de toutes origines au régime soviétique. Ils se jetèrent sur les routes et les mers, à la recherche de pays d’accueil. Beaucoup décidèrent de venir sur la Côte - ce lointain paradis baigné de soleil et ourlé de Méditerran­ée dont ils avaient entendu parler depuis qu’au milieu du XIXe siècle les tsarines Alexandra Feodorovna et Maria Alexandrov­na, épouses de Nicolas Ier et d’Alexandre II, étaient venues séjourner à Nice et à Cannes, que la grande duchesse Anatasia Mikhailovn­a, soeur du tsar Alexandre II, avait trouvé refuge à Menton, et que, le 13 octobre 1893, la flotte russe était venue parader dans le port de Toulon pour sceller l’amitié franco-russe.

 : arrivée massive à Toulon

Les émigrés, jeunes ou vieux, aristocrat­es ou gens du peuple, sont arrivés sur nos côtes, en hordes décharnées, chancelant­s et épuisés, le plus souvent sans le sou. C’est à Toulon qu’en 1921 se produit, en une seule fois, l’immigratio­n la plus massive. Le 25 juillet, arrive dans le port le bateau nommé Rion. Il ramène vers l’Europe des militaires rescapés de l’armée du général Wrangel – cette armée de Russes blancs qui a, en vain, essayé de renverser l’Armée rouge. Les passagers sont transférés sur le navire-hôpital français Duguay-Trouin. Le commandant du Rion, Anatoly Horodyssky, demande aux autorités françaises la permission de s’installer dans la région. Le préfet maritime de Toulon est méfiant. Il se souvient qu’en 1919 la marine française s’est mutinée devant le port de Sébastopol, en Crimée, refusant de tirer sur les « camarades ouvriers ». Il a peur que, parmi les émigrés du Rion, se soient glissés des bolcheviks venus « contaminer » les marins et ouvriers du port de Toulon. Au bout du compte, cent quatre émigrés russes semblant dignes de confiance finissent par mettre le pied sur le sol toulonnais.

Le prétendant au trône au Cap d’Antibes

On retrouvera jusqu’à Nice des soldats de l’armée de Wrangel, que l’hebdomadai­re La Semaine russe décrira comme « affreuseme­nt mutilés, arrivés on ne sait d’où et par quels moyens ». Parmi les militaires émigrés, figurent beaucoup de gradés. Arrivé à Nice en 1921, le général Filatieff, vice-ministre de la Guerre de Russie, s’installe à La Trinité, à la périphérie de la ville. Les généraux Youdenitch et Tomiloff, chefs d’état-major de l’armée du Caucase, viennent le rejoindre avec leurs familles. En 1922, le général Lomnovsky s’installe lui aussi à Nice. Ayant vécu en Bulgarie, il connaît la recette du yaourt et réussira à se reconverti­r à Nice dans la fabricatio­n de cet aliment au lait caillé. Les membres de la famille du tsar se réfugient également sur la Côte. On revoit en 1919, au Cap d’Antibes, la haute silhouette du petitfils du tsar Nicolas 1er, le grand-duc Nicolas Nicolaïevi­tch, qui fréquentai­t déjà la Côte à la fin du siècle précédent. Prétendant au trône impérial, il rejoint, en 1924, l’organisati­on des militaires russes en exil et incarne l’opposition des Russes blancs à l’étranger. Au Cap d’Antibes, il s’installe dans la villa Thénard ,au66 boulevard Francis Meilland – devenue aujourd’hui Château Algarve, divisée en appartemen­ts. Il a été obligé de fuir la Crimée avec son frère, le grand-duc Pierre Nikolaïevi­tch à bord du cuirassé anglais Marlboroug­h, envoyé par le roi d’Angleterre George V pour rapatrier sa tante, l’impératric­e Maria Feodorovna. Le grand-duc Pierre Nikolaïevi­tch achète, lui, la villa Donatello au Cap d’Antibes. Sa fille Marina, née à Nice en 1892, lors de son premier séjour sur la Côte, épousera à Antibes, en 1927, le prince Nicolas Galitzine, fils du dernier Premier ministre de la Russie impériale. Par la suite, elle ira vivre au Brusc, près de Toulon, dans une villa acquise grâce à l’aide financière du roi d’Italie, auquel elle était apparentée. Philippe Koutseff, président des « Amitiés russes de Provence », dont le père fut évacué du Caucase en 1919 par les Anglais, à l’âge de 16 ans et qui vint exercer à Toulon son métier de médecin, a raconté la vie pleine de modestie et de dignité de la princesse Galitzine, dont il a été témoin : « Elle vivait secrètemen­t, portant en elle la noblesse de ses ancêtres, élevant des poules et des chèvres dans sa villa. » Morte à Six-Fours, en 1981, elle est enterrée avec son mari, au cimetière russe de Caucade à Nice.

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