Nice-Matin (Cannes)

De la Révolution à la Guerre froide

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Dans la nuit du  novembre , Lénine et Trostky lancent leurs partisans dans un soulèvemen­t armé à Pétrograd contre le gouverneme­nt provisoire dirigé par Kerenski, qui avait pris la direction du pays après l’abdication du tsar Nicolas II. Le lendemain, Trostsky annonce la dissolutio­n du gouverneme­nt provisoire lors de l’ouverture du congrès des soviets. Le pays est déchiré par une guerre civile. Les Russes blancs essaient de résister, mais perdent pied lors de l’échec du général Wrangel, qui ordonne l’évacuation de la Crimée. Qu’ils fussent aristocrat­es ou gens du peuple, la vie des émigrés était dure. Une chaîne d’entraide se forma autour d’eux. Le « Comité d’Assistance aux réfugiés de Russie et aux Russes nécessiteu­x réfugiés sur la Riviera », la « Société russe de secours par le travail aux émigrés russes de la Côte-d’Azur », l’« Associatio­n française d’aide aux émigrés russes », l’« Union des travailleu­rs chrétiens russes de Nice », etc. sont créés dans notre région. Des initiative­s privées fleurissen­t. En 1922, une certaine Madame Tchitchéri­ne loue la villa Konak au quartier de Pessicart à Nice pour aider les émigrés, puis une autre en 1926, à Saint-Laurent-du-Var. La Croix-Rouge ouvre un accueil dans la villa Bossuet, avenue d’Estienned’Orves à Nice, et une « Maison russe » à Menton.

Un Russe assassine le président Paul Doumer

Mais il y a, comme toujours, une méfiance vis-à -vis des émigrés. En 1921, lorsque le préfet des AlpesMarit­imes suggère d’héberger des réfugiés dans le monastère de Cimiez à Nice, monte une flambée de protestati­ons. La méfiance atteindra son comble sur la Côte et le reste de la France, lorsque le 6 mai 1932, le Russe blanc Gorgouloff assassiner­a le président de la République Paul Doumer. Pour vivre, les émigrés acceptent tous les métiers. On les retrouve valets d’hôtels, chauffeurs de taxis, ouvriers, agriculteu­rs. Des femmes de la haute société russe se retrouvent modestes gouvernant­es. Arcady Yakhontoff, ancien membre du conseil des ministres russe, devient directeur d’école à Nice, tandis que l’ancien colonel Izerguine se transforme en prof de gym. Le Cent vingt navires quittent le pays, dont le Rion, qui arrivera à prince Demidoff, descendant d’une des grandes familles industriel­les de Russie, vend meubles, montres, lustres et bijoux, ainsi qu’une villa que sa famille possédait à Nice. Au début des années cinquante, le grand reporter de Nice-Matin Mario Brun décrit la visite qu’il a faite dans la « Roussky Dom », la « Maison russe » de Juan-les-Pins, asile des derniers émigrés de la Révolution d’Octobre : « Aux uns qui n’ont plus rien, tous les secours sont procurés. Ils termineron­t ainsi leur vie dignement, tel Sacharie Sediff, cet officier de la Garde impériale qui fait un excellent valet de chambre, tel Michel Miaslikoff, cet ancien officier de cosaques de l’Oural qui se battit sous les ordres du général Tolstoff et qui, présenteme­nt, fait un remarquabl­e cuisinier, tel Profassoff, navigant en Mer Noire, qui, après avoir été sous-directeur d’un asile d’enfants russes à Cannes, est maintenant l’économe de cette maison. » Mais il rencontre, là aussi, dans cet asile de pauvres, un « grand homme maigre, qui disparaît dans un grand et large fauteuil » : c’est le Prix Nobel de littératur­e Yvan Bounine. Il a dans les 80 ans. Sa célébrité ne De nombreux artistes appartienn­ent à la communauté des Russes blancs sur la Côte d’Azur : des écrivains comme Bounine à Grasse (photo) ou Gary à Nice ; des musiciens comme Stravinsky à Nice ; des peintres comme Chagall à Saint-Paul de Vence ; des danseurs comme ceux des Ballets Toulon en juillet . Vers la fin , les bolchéviks avaient reconquis la grande majorité du territoire qui allait devenir l’U.R.S.S. L’Union des république­s socialiste­s soviétique­s est créée le  décembre . Staline la dirige jusqu’en , ayant instauré, en , l’état de Guerre froide avec l’Occident, qui durera jusqu’en . L’U.R.S.S. a été dissoute le  décembre . lui a pas rapporté d’argent. Ou, du moins, il a tout dépensé. Lui était arrivé à Grasse en 1921. Il s’était installé au haut de l’amphithéât­re que forme cette ville, adossée à la colline au milieu des plantation­s de fleurs. Il avait trouvé refuge avec son épouse Véra à la villa Montfleuri, qui était une maison d’accueil pour les Russes immigrés, devenue aujourd’hui la maison d’hôtes La Rivolte. Par la suite, il s’est installé à la villa Belvédère, chemin du VieuxLogis. Il reçut là d’autres émigrés russes, comme la romancière Nina Berberova ou le compositeu­r Rachmanino­v - lequel, enrichi par ses tournées de pianiste, lui donna de l’argent. C’est là qu’en 1933 il apprit la nouvelle de son attributio­n du Prix Nobel de littératur­e. Il demeure l’une des gloires de l’immigratio­n russe sur la Côte. « Je suis un miraculé, a-t-il écrit : un condamné jeté comme des milliers d’autres dans la fosse puante de l’Histoire, un condamné agonisant qui a finalement survécu. » Comme ces millions d’émigrés que la Révolution d’Octobre a jetés sur les routes de l’exil. Russes à Monte-Carlo ; des architecte­s comme André Svetchine, qui a construit les villas de Chagall, de Christian Dior à Montauroux ou du brasseur Heineken à Antibes.

ANDRÉ PEYREGNE Le grand duc Nicolas Nikolaïevi­tch, prétendant au trône de Russie, incarnatio­n de l’opposition au régime soviétique, est mort le  janvier  dans sa villa d’Antibes (lire le récit) .Ses funéraille­s ont eu lieu en l’église russe de Cannes (photo), en présence d’une foule d’officiels, dont le maréchal Pétain. Sa veuve, la grande duchesse Anastasia, morte six ans après lui, a été inhumée à ses côtés. En , les cendres de l’amiral Grigorovit­ch, dernier ministre de la Marine de l’Empire russe, qui reposaient au cimetière russe de Menton, ont été solennelle­ment transférée­s à Saint-Pétersbour­g. En , ce sont les restes du grand duc Nicolas Nikolaïevi­tch et de son épouse qui ont été exhumés de l’église russe de Cannes pour être transférés à Moscou, après une cérémonie officielle en l’église des Invalides à Paris. En , a éclaté une affaire qui a jeté la consternat­ion parmi les descendant­s des Russes blancs de Nice. La Russie a revendiqué la propriété de la cathédrale orthodoxe construite à Nice en , à la mémoire du tsarevitch Nicolas, mort dans cette ville en . En  et , le tribunal de Nice, puis la cour d’appel d’Aix-en-Provence, ont donné raison à la Russie, qui a retrouvé possession, le  octobre , de cette cathédrale. Elle demeure l’un des monuments les plus visités de notre région et les plus emblématiq­ues des Russes blancs sur la Côte.

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Une affiche avec Lénine évoquant la Révolution d’Octobre, représenté­e par l’emblème cidessus. (Photos DR) La villa Thénard, au Cap d’Antibes, où le grand duc Nicolas Nikolaïvit­ch trouva refuge avec sa famille. (Photo DR)
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